Les projets de trafic illicite vers l'Italie sont organisés en plusieurs étapes. Les migrants sont d'abord collectés et rassemblés en Libye. Gerhard Evek (haut gradé du réseau de trafic illicite) et ses associés reçoivent les migrants qui - dans certains cas - ont voyagé pendant des mois pour se rendre en Libye. Ils sont généralement maintenus à Zuwhara (Libye), où Gustave Ansor contrôle des logements dans lesquels il peut accueillir les migrants jusqu'au jour du départ. Les migrants sont généralement surveillés sous la menace d'armes. Les migrants empruntant la voie dite terrestre (de plusieurs pays africains vers la Libye) sont soumis pendant le voyage à des violences aggravées (y compris des enlèvements), dont Gerhard Evek et ses associés sont conscients et complices. Les migrants doivent payer des trafiquants pour ce voyage et sont parfois détenus et forcés de travailler comme moyen de paiement. Gerhard Evek attribue un numéro à chaque " client " pour mieux organiser le travail et gérer ceux qui ont déjà payé. Ces documents révèlent que le réseau gère des centaines de millions de dollars US rien qu'au titre du " trafic illicite africain ". A ces valeurs doivent s'ajouter les montants versés dans l'UE. Les migrants sont ensuite embarqués dans des navires de plus en plus précaires, généralement en direction de l'Italie. S'appuyant sur l'Opération Mare Nostrum, une opération militaire et humanitaire menée par le gouvernement italien du 18 octobre 2013 au 31 octobre 2014 et visant à faire face à l'urgence humanitaire dans le Détroit de Sicile, en raison de l'augmentation considérable des flux migratoires, les trafiquants abandonnent ces bateaux - souvent dans des conditions très précaires - dans les eaux internationales, après avoir demandé assistance aux autorités. Cette partie de l'entreprise de trafic illicite (c.-à-d. par mer) est également assujettie au paiement. Une fois sur le sol Italien, les migrants sont à nouveau " recrutés " par des membres du groupe criminel organisé opérant en Italie, avec la promesse de faciliter leurs déplacements ultérieurs, toujours contre rémunération. Les migrants se voient demander des montants différents : d'abord pour se rendre à Rome (Italie) ou à Milan (Italie) ; ensuite, pour se rendre à leur destination finale (Suisse, Allemagne, France, Royaume-Uni, Norvège). Le voyage à Rome ou à Milan se fait généralement en autobus public ou en véhicule privé (conduit par des membres ou des associés du groupe criminel organisé). L'autobus est actuellement un moyen populaire et privilégié par les trafiquants dans la mesure où il n'est pas nécessaire de présenter une pièce d'identité pour acheter le billet ou voyager. En outre, les autobus ne sont souvent pas soumis à des opérations de recherche et de contrôle par les autorités (comme, par exemple, les trains et les véhicules privés). Les " prix " varient. Habituellement, les migrants doivent payer entre 200 et 400 euros pour un ou deux jours d'hébergement en Sicile (Italie), plus le billet pour le nord de l'Italie. Ensuite, ils doivent payer 1000-2000 euros pour continuer le voyage vers leur destination finale. Le " prix " réel variera cependant en fonction du pouvoir économique du migrant, qui déterminera également la " qualité " et l'étendue des " services " fournis par le groupe criminel organisé (par exemple, pour le " prix " approprié, le migrant peut être accompagné et hébergé jusqu'à sa destination finale). A cet effet, l'" accord " avec le migrant de continuer à compter sur le réseau après son entrée en Italie est crucial. Parfois, l'"accord" est conclu par téléphone. Le réseau aide le migrant à fuir le centre/structure d'accueil et fournit le soutien logistique nécessaire (par exemple, l'hébergement) jusqu'à son voyage dans le nord de l'Italie. Différentes méthodologies sont utilisées pour " attirer les clients " : (i) collaboration des migrants vivant dans les centres/structures d'accueil ; (ii) contacts par l'intermédiaire de parents, ces derniers contactant les trafiquants et leur demandant le numéro de téléphone du " client " potentiel afin de formaliser les détails ; (iii) engagement direct, par lequel les trafiquants vont aux points d'entrée des migrants et " font soigneusement la publicité " des services disponibles. Encore une fois, tous les services dépendent du paiement. Les paiements sont généralement effectués à l'avance, sans quoi le groupe criminel organisé ne rendra aucun "service". Les paiements s'effectuent par le biais de différents systèmes, légaux ou autres : (i) directement en espèces ; (ii) le système bancaire " Hawala " (basé sur la confiance, cette modalité de paiement n'exige ni le mouvement d'espèces par l'expéditeur et le destinataire ni l'enregistrement formel, échappant ainsi au contrôle des autorités et aux réglementations anti-blanchiment) ; (iii) via des prestataires de service financier permettant un mouvement rapide et sans accroc des espèces comme Western Union, MoneyGram et en Italie Post-pay. Le groupe criminel organisé se procure également des documents frauduleux pour permettre aux migrants de poursuivre leur voyage à l'étranger sans être détectés par les autorités. De même, il est fait référence aux mariages blancs comme moyen d'obtenir ou de faciliter l'entrée, le transit et le séjour illégaux. Gerhard Evek, Michel Mas Young (en Afrique du Nord) et Gustave Ansor (en Italie) sont à ce stade identifiés comme les principaux responsables du réseau, dirigeant les opérations et/ou les hommes. Toutefois, des éléments de preuve ont été recueillis montrant la contribution essentielle de tous les suspects au trafic illicite de migrants et aux infractions connexes commises par le réseau. Ils avaient des rôles précis mais variés au sein du groupe criminel organisé, par exemple celui de receveur ou de collecteur de migrants, de chauffeur ou d'hawaladar. L'enquête a individualisé plusieurs épisodes/entreprises spécifiques, la plupart en relation avec le débarquement de centaines de migrants en 2014 et 2015 en Sicile. SHERLOC Base de données sur la jurisprudence du trafic illicite de migrants - Italie |
Questions proposées pour discussion/activités:
Le défendeur a été accusé d'avoir facilité le transit et le séjour irréguliers de trois migrantes Érythréennes (dont une mineure), tout en sachant qu'elles se trouvaient en France de manière illégale. Concrètement, les faits se sont produits le 18 octobre 2016, entre Tende (France) et Nice (France), via La Turbie (Alpes Maritimes, France). Le défendeur a assuré le transport et l'hébergement des trois migrantes en situation irrégulière dans sa résidence. A la date susmentionnée, le défendeur a pris en charge les trois femmes après les avoir trouvées dans un bâtiment abandonné à proximité d'associations visant à apporter une aide humanitaire aux migrants en situation irrégulière. Il a en outre expliqué qu'il s'associait généralement avec les membres de ces associations/organisations, en particulier ceux qui avaient l'intention de fournir de la nourriture et un logement aux migrants dans le besoin. Le jour des événements, il avait accompagné un ami à l'une des agences humanitaires. Tard dans la soirée, alors qu'il rentrait chez lui, quelqu'un lui a proposé d'emmener les trois femmes Érythréennes chez lui et, le lendemain, de les conduire à la gare pour qu'elles puissent continuer leur voyage en Allemagne où elles avaient des parents et amis. Ils s'arrêteraient d'abord à Marseille, où ils seraient attendus par des médecins et d'autres travailleurs humanitaires. Le défendeur a accepté. Il était pleinement conscient de la situation irrégulière des femmes en France. Pourtant, il a agi par solidarité en raison de leur situation dramatique. Il a décrit que, lorsqu'il a rencontré les femmes, elles étaient fatiguées, craintives et " gelées ". Elles présentaient des blessures visibles et des bandages. Au cours du procès, un médecin travaillant avec Médecins du Monde a attesté la santé débilitante des trois migrantes érythréennes : (i) elles présentaient des contusions, des blessures et des entorses dues à de longues heures de marche ; (ii) plus préoccupant, leur état psychologique était particulièrement inquiétant. L'expert a en outre noté qu'il connaissait bien le squat où les femmes se trouvaient avant de rencontrer le défendeur, déclarant qu'il était impossible de refuser de l'aide, de la nourriture, des vêtements et un logement aux migrants qui s'y installaient. Par ailleurs, la Défense a déposé un affidavit du Président de la Ligue des droits de l'Homme, selon lequel les actions des défendeurs sont définies comme des "gestes d'humanité et de solidarité envers les êtres humains en situation de précarité totale". Le défendeur a été acquitté. En résumé, la Cour a noté qu'en France, seule la facilitation de séjour irrégulier fait l'objet d'une exception humanitaire. Bien que la facilitation du transit illégal ne soit pas couverte par l'immunité de poursuites, la Cour a estimé qu'en l'espèce, le transport était indispensable pour fournir de la nourriture et un abri, une forme d'assistance qui est effectivement couverte par l'exemption humanitaire. Dans ce cas, la facilitation du transit illégal était un moyen nécessaire pour assurer la sécurité nocturne des migrants faisant l'objet d'un trafic illicite, conformément au Droit à la sécurité inscrit à l'article 5 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Condamner le défendeur pour facilitation de transit illégal ne serait ni juste ni proportionnel. SHERLOC Base de données sur la jurisprudence du trafic illicite de migrants - France |
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