Il n’y a pas de consensus sur la définition du terrorisme au niveau international mais il existe 19 instruments internationaux traitant du terrorisme. En effet, de nombreux États se sont appuyés sur ces instruments internationaux, sur les décisions des cours internationales ainsi que sur les législations nationales existantes pour définir le terrorisme à l’intérieur de leurs frontières et de leurs régions (voir le Module 1 de la série de modules de l’ONUDC sur la lutte contre le terrorisme). Certains experts soutiennent que la définition du terrorisme évolue dans le temps et varie en fonction du pays, de la région géographique et des besoins politiques.
Au niveau international, outre les 19 instruments juridiques universels, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) et l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) ont émis de multiples résolutions relatives au terrorisme et ont élaboré la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies, adoptée par les États membres en septembre 2006 et révisée par l’AGNU tous les deux ans. La Stratégie antiterroriste mondiale, la première à fournir une approche stratégique et opérationnelle commune pour lutter contre le terrorisme, était initialement coordonnée par l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme (CTITF). La CTITF était organisée à travers des groupes de travail qui apportaient leur soutien aux efforts de lutte antiterroriste de 38 entités internationales. Depuis juin 2017, la coordination des entités internationales est assurée par le nouveau Bureau des Nations Unies de lutte contre le terrorisme (UNOCT ou le Bureau) par le biais d’un nouvel arrangement : le Pacte mondial de coordination contre le terrorisme signé le 23 février 2018. Le Bureau est chargé, entre autres, de diriger l’action menée au titre des divers mandats de lutte contre le terrorisme de l’AGNU. La Stratégie est composée de quatre piliers : 1) les mesures visant à éliminer les conditions propices à la propagation du terrorisme ; 2) les mesures visant à prévenir et combattre le terrorisme ; 3) les mesures destinées à étoffer les moyens dont les États disposent pour prévenir et combattre le terrorisme et à renforcer le rôle joué en ce sens par le système des Nations Unies ; 4) les mesures garantissant le respect des droits de l’homme et la primauté du droit en tant que base fondamentale de la lutte antiterroriste (pour un examen plus détaillé de la Stratégie, voir le Module 3 de la série de modules de l’ONUDC sur la lutte contre le terrorisme). Dans la mesure où le cadre juridique relatif au terrorisme est vaste et qu’il figure dans un grand nombre d’instruments, l’AGNU étudie depuis maintenant quelques temps l’adoption d’une convention exhaustive sur le terrorisme.
En l’absence d’une définition internationale du terrorisme, des tentatives de définition de ce concept ont été réalisées par certains experts et organisations régionales et internationales (voir le Module 1 de la série de modules de l’ONUDC sur la lutte contre le terrorisme). Par exemple, le Mécanisme de surveillance, de signalement et de soutien en matière de lutte antiterroriste (le Counter-Terrorism Monitoring, Reporting and Support Mechanism en anglais, ou CT-MORSE), financé par l’Union européenne, définit le terrorisme comme « le recours illégal à la violence et à l’intimidation, en particulier contre les civils, dans le but de poursuivre des objectifs politiques » (Reitano, Clarke et al., 2017). Le projet de 2012 de Tamara Makarenko sur le nexus entre la criminalité et le terrorisme a incorporé la définition suivante du terrorisme : « la commission d’actes de violence prémédités ou la menace de violence qui sont perpétrés par les membres d’un groupe organisé, conçus pour engendrer de la peur chez un adversaire ou un segment spécifique de la société » (Makarenko, 2012).
Bruce Hoffman a défini le terrorisme comme « la génération et l’exploitation délibérées de la peur par la violence ou la menace de violence dans le but de poursuivre un changement politique » (Hoffman, 1998) et la Base de données mondiale sur le terrorisme (Global Terrorism Database), développée et gérée par le Consortium national des États-Unis pour l’étude du terrorisme et des réponses au terrorisme (United States National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, ou START), définit un acte terroriste comme la menace de recours ou le recours réel à l’usage illégale de la force et de la violence pour atteindre un objectif politique, économique, religieux ou social par le biais de la peur, de la coercition ou de l’intimidation. Il existe également des tentatives plus anciennes, remontant à plusieurs décennies, pour établir les paramètres d’une définition du « terrorisme » (voir Weinberg et al., 2004 et Crenshaw, 2000). Une définition large proposée par Walter Laqueur, par exemple, comprenait « le recours illégitime à la force pour atteindre un objectif politique en ciblant des personnes innocentes » (Laqueur, 1977).
En outre, plusieurs instruments régionaux ont adopté une définition du « terrorisme » ou de « l’acte terroriste » qui sont analysés dans le Module 5 sur les approches régionales de lutte contre le terrorisme de la série de modules de l’ONUDC sur la lutte contre le terrorisme.
Dans le cadre des Nations Unies, il existe plusieurs notions de « terrorisme » qui fournissent des indications très utiles sur son contenu. L’une d’entre elles figure dans la résolution 49/60 de l’Assemblée générale, qui vise à incriminer certaines activités armées considérées comme étant de nature « terroriste ». Elle précise notamment que « [l]es actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer pour les justifier » (para. 3). Pour plus de détails sur l’approche des Nations Unies sur le concept du terrorisme, voir le Module 4 de la série de modules de l’ONUDC sur la lutte contre le terrorisme.
Malgré l’absence d’une définition internationalement reconnue, les Nations Unies reconnaissent un certain nombre de groupes non-étatiques comme étant des organisations terroristes en raison de leur implication dans des actes terroristes (par exemple, les Talibans ont été désignés comme un groupe terroriste par la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité, suite à leur refus de remettre Oussama ben Laden et ses associés pour leurs rôles dans les attaques d’août 1998 contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en République-Unie de Tanzanie). En 2011, en vertu de la résolution 1989 (2011) du Conseil de sécurité, le Conseil a divisé la « Liste récapitulative » des individus et entités associés aux Talibans et à Al-Qaida en deux listes distinctes : la « Liste d’Al-Qaida ou de 1988 » et la Liste des Talibans. Enfin, en vertu de la résolution 2253 (2015), le Conseil de sécurité a élargi les critères d’inscription sur la liste pour inclure dans la Liste d’Al-Qaida les individus et les entités soutenant l’État islamique en Iraq et au Levant (ISIL) et le Front el-Nosra (ANF).
Tout comme pour le cadre concernant le terrorisme, les Nations Unies supervisent un certain nombre de traités qui traitent de la criminalité transnationale organisée, notamment la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (ci-après : la Convention contre la criminalité organisée). La Convention contre la criminalité organisée est complétée par trois protocoles relatifs à des formes de criminalités souvent commises par les groupes criminels organisés : le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (le Protocole sur la traite des personnes) ; le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer (le Protocole sur le trafic illicite de migrants) ; et le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions (le Protocole sur les armes à feu). De plus, la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 ne traite pas de la criminalité transnationale organisée en tant que telle, mais des activités illicites communément menées par les groupes criminels organisés. Enfin, la Convention des Nations Unies contre la corruption, adoptée en 2003, précise et reconnait différentes formes de corruption et fournit un cadre juridique pour incriminer et lutter contre une forme de criminalité largement commise par les groupes criminels organisés dans le monde entier (sur le thème de la corruption, du trafic de drogue, de la traite des personnes, du trafic illicite de migrants et du trafic illicite d’armes à feu, voir le Module 3 et le Module 14 de la série de modules de l’ONUDC sur la criminalité organisée, ainsi que la série de modules de l’ONUDC sur la traite des personnes et le trafic illicite de migrants).
Tout comme pour le concept de terrorisme, il n’existe pas de définition unique et uniformément acceptée de la criminalité organisée. La Convention contre la criminalité organisée ne définit pas la criminalité organisée car les activités illicites relevant de la criminalité organisée changent souvent et une définition deviendrait rapidement obsolète. Elle définit plutôt un groupe criminel organisé comme suit :
[U]n groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel. (Art. 2(a))
Un groupe structuré est défini au sens large comme un groupe qui ne requiert aucune hiérarchie formelle ou de continuité dans sa composition. Par conséquent, sont également inclus les groupes ayant des liens lâches sans rôles formellement définis pour leurs membres ou sans structure ou hiérarchie développée. Une infraction grave désigne toute infraction passible d’une peine privative de liberté d’au moins quatre ans (article 2(b)). Le but du groupe criminel organisé de tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel a été inclus dans la Convention contre la criminalité organisée afin d’exclure les groupes ayant des motivations purement politiques ou sociales. Dans le même temps, l’autre avantage matériel avait pour but d’inclure la gratification sexuelle par le biais, par exemple, de la réception ou du commerce de contenus par les membres de réseaux peer-to-peer partageant en ligne du contenu ayant trait à l’exploitation d’enfants ou partageant les coûts du réseau entre les membres (ONUDC, 2006) (sur ce sujet, voir le Module 1 de la série de modules de l’ONUDC sur la criminalité organisée).
L’approche adoptée par la définition dans la Convention a été critiquée par certains experts (voir par exemple, Salinas de Frias, 2017 et Fredholm, 2017) qui l’ont jugée limitée dans la mesure où les États parties disposent d’une grande discrétion quant à la manière de définir la criminalité organisée dans la législation nationale, ce qui pourrait ensuite entraîner des disparités dans la mise en œuvre nationale. D’autre part, comme le terrorisme, la criminalité organisée évolue également au fil du temps, n’est pas statique et varie d’une région à l’autre. Pour cette raison, la Convention se concentre sur les acteurs de la criminalité organisée – le groupe criminel organisé – plutôt que sur les activités illicites.
La Convention contre la criminalité organisée contient également une définition de l’aspect transnational de la criminalité organisée. La Convention, dans son article 3, définit la transnationalité comme suit :
[U]ne infraction est de nature transnationale si :
Bien que le champ d’application de la Convention soit limité aux infractions de nature transnationale, elle précise également à l’article 34(2) que l’élément transnational et l’implication d’un groupe criminel organisé ne doivent pas être considérés comme des éléments de ces infractions dans la législation nationale à des fins d’incrimination. Par conséquent, les États parties sont invités à adopter une législation qui n’inclut pas les éléments de transnationalité afin d’éviter d’éventuelles failles dans les systèmes nationaux.
Ce module se concentre plus particulièrement sur le terrorisme et la criminalité organisée plutôt que sur des infractions pénales moins graves. Néanmoins, il est nécessaire de reconnaître une tendance actuelle à des actes délictueux individualisés/indépendants à petite échelle pour financer les activités terroristes, plutôt qu’une facilitation à grande échelle et hiérarchisée des opérations criminelles par les factions terroristes (Oftedal, 2014 ; Reitano, Clarke, 2017).
Ce module se concentre sur les liens entre la criminalité organisée et le terrorisme. Certains experts qui s’intéressent à la manière dont les groupes criminels organisés et les organisations terroristes interagissent, et à la mesure dans laquelle ils le font, parlent souvent de liens ou de liaisons pour démontrer l’existence d’un « nexus » entre les différents types de groupes (voir par exemple, Albanese, 2012 et Alda, 2014). S’il n’y a certainement pas qu’une seule façon de définir ces liens, certains experts affirment qu’un « nexus » n’est qu’un type d’interaction parmi beaucoup d’autres. Les approches théoriques pour examiner les différents types de liens sont examinés dans une section dédiée de ce module.
En général, les études sur les liens examinent comment les groupes criminels et terroristes s’engagent dans des activités mutuellement avantageuses et cherchent également à examiner plus largement les environnement et réseaux sociaux plus vastes dans lesquels les groupes terroristes et les groupes criminels organisés opèrent (Neuman et al., 2016). Dans ce contexte, il est utile de mentionner également que certains chercheurs remettent en question l’existence d’un nexus entre la criminalité organisée et le terrorisme et écartent l’idée qu’une coopération existe entre les groupes criminels organisés et les organisations terroristes (voir Picarelli, 2006). Certains de ces auteurs mettent l’accent sur le manque de confiance entre de tels groupes qui constitue un obstacle naturel à leur coopération ; d’autres insistent sur le fait que les deux groupes sont généralement prudents et seraient réticents à assumer le risque supplémentaire d’une collaboration sur le long terme. L’objection la plus fréquente à l’existence d’un nexus est peut-être que ces groupes ont intrinsèquement des objectifs différents (de nature financière pour les groupes criminels organisés et de nature plus politique pour les organisations terroristes). Ces auteurs soutiennent que cela empêcherait une coopération stable (Picarelli, 2006 ; Shelley et al., 2005).
Ce module vise à enquêter sur l’existence de tout type de liens entre le terrorisme et la criminalité organisée dans le sens le plus large possible et fait donc référence à l’existence de liens, plutôt qu’à un nexus.
Aux fins du présent module, toute référence aux « liens » vise à englober toute interaction entre le terrorisme/les groupes terroristes et la criminalité organisée/les groupes criminels organisés qui démontre l’existence d’une relation entre eux. Cela inclut, bien que cette liste ne soit pas exhaustive : les groupes terroristes impliqués dans des activités relavant de la criminalité organisée ; les groupes criminels organisés commettant des actes de terrorisme ; les groupes terroristes et criminels organisés coopérant par leur engagement dans des activités délictueuses ; les transformations impliquant des liens et des similitudes organisationnels, voire une convergence ; et la concurrence entre les deux types de groupes nécessitant un contact entre les deux.