Le Protocole contre la traite des personnes fournit une liste non-exhaustive des actes inclus dans la portée du terme “exploitation”. L’Article 3(a) du Protocole stipule que “ L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes ”. L’absence d’une définition convenue de l’exploitation peut entraîner une marge d’interprétation discrétionnaire et, par conséquent, une divergence dans l’application au niveau national. Par conséquent, il subsiste des questions relatives à certains aspects de la définition de l’exploitation et de son application pratique.
Cet élément de l’infraction exige la preuve que l’auteur a agi avec la finalité d’exploiter la victime. Il n’est pas nécessaire que la victime ait été effectivement exploitée dans la mesure où cela était l’objectif de l’auteur de l’infraction.
Lorsque le Protocole était négocié, il y a eu un fort consensus quant à diverses pratiques qui devaient être incluses dans les formes d’exploitation, comme l’exploitation sexuelle et le travail forcé. Cependant certaines formes proposées furent rejetées car elles étaient vues comme étant déjà englobées dans d’autres formes d’exploitation qui allaient être incluses ou bien parce qu' elles étaient vues comme ne relevant pas du champ d’application du Protocole. Par exemple le terme “ exploitation du travail” avait été proposé mais n’avait pas été accepté et les propositions d’inclure explicitement l’élément du profit ou du bénéfice au concept de l’exploitation avaient aussi été rejetées durant les négociations (ONUDC, 2015).
La législation et la jurisprudence nationales apportent des éclaircissements et peuvent ajouter d’autres formes d’exploitation. La liste des finalités d’exploitation établie par le Protocole contre la traite des personnes n’est pas exhaustive et peut être élargie. Le caractère non-exhaustif de la définition du Protocole se manifeste de deux façons: (i) par le biais du terme “au moins ”; et (ii) avec l’inclusion d’exemples d’exploitation qui ne sont pas autrement définies dans les lois internationales. Les États peuvent élargir cette liste en ajoutant de nouveaux concepts ou en interprétant des concepts non définis de manière à inclure certaines conduites pertinentes dans un pays ou un contexte culturel déterminé (voir les exemples de l’encadré 10).
Il y a toutefois certaines limites pour ce qui concerne l’expansion, qui peuvent potentiellement inclure un seuil de gravité pour éviter que le concept de traite ne s’étende à des formes d’exploitation moins graves comme les infractions à la loi du travail. Il faut toutefois signaler que le Protocole n’établit pas clairement ce seuil (ONUDC, 2015).
Les définitions internationales juridiques existantes de l’esclavage et du travail forcé sont pertinentes pour interpréter leur contenu substantiel dans le contexte du Protocole contre la traite des personnes :
Les Travaux Préparatoires fournissent trois notes interprétatives pertinentes pour le concept de l’exploitation: les formes d’exploitation sexuelles autrement que dans le contexte de la traite des personnes ne sont pas couvertes par le Protocole; le prélèvement d’organes des enfants pour des raisons médicales ou thérapeutiques légitimes ne peut pas constituer un élément de traite si un parent ou un tuteur a donné un consentement valide; et les références à l’esclavage ou à des pratiques similaires peuvent inclure l’adoption illégale dans certaines circonstances.
L’exploitation sexuelle des enfants dans les voyages et le tourisme est une autre forme d’exploitation. Il s’agit d’un phénomène dans lequel une personne voyage à l’étranger dans l’intention de se livrer à des activités sexuelles avec des enfants.
Des mesures ont été prises au niveau local et international pour incriminer les touristes qui voyagent à l’étranger dans l’intention de se livrer à des activités sexuelles avec des enfants, dans des pays où les enfants sont vulnérables à l’exploitation sexuelle et où les protections légales sont faibles. Ces mesures incluent: (a) une coopération multilatérale, régionale et bilatéral entre les organismes chargés de l’application de la loi du pays de résidence des auteurs et ceux du pays de destination où l’infraction est commise ; et (b) l’obligation des pays d’incriminer les délits sexuels commis sur des enfants à l’étranger par leurs ressortissants au lieu de compter sur le pays de destination country pour les arrêter et les poursuivre.
L’Article 10 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants stipule :
La Loi PROTECT sur le recours aux poursuites pour mettre fin à l’exploitation des enfants de 2003 des USA est un exemple d’une loi nationale contre le tourisme sexuel.
Dans l’affaire les Etats Unis v Seljan, John W Seljan, un homme d’affaires retraité de 85 ans a été arrêté à l’aéroport de Los Angeles d’où il se rendait aux Philippines pour avoir eu des relations sexuelles avec deux fillettes de 9 ans et 12 ans. Seljan a été condamné à 20 ans de prison.
Selon la publication, l'exploitation et le tourisme sexuel impliquant des enfants sont en augmentation- les entreprises peuvent aider à les combattre lors du Forum économique mondial en 2018, l’exploitation sexuelle des enfants dans le contexte des voyages et du tourisme augmente dans le monde entier. Toutefois cette augmentation a été notoire dans les pays d’Amérique latine. L’une des principales raisons de cette augmentation est que dans certains pays l’accès au sexe est peu compliqué et bon marché et la pauvreté des enfants est également un facteur qui y contribue. Il faut signaler que le secteur de la lutte contre la traite a cessé d’utiliser le terme “tourisme sexuel ” (voir CNN Projet liberté, 31 Août 2018).
D’une certaine façon la pornographie constitue une forme d’exploitation selon la définition de la traite des personnes. La pornographie infantile en est un exemple. Elle est définie à l’article 2(c) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants comme “ toute représentation, par quelque moyen que ce soit, d'un enfant s'adonnant à des activités sexuelles explicites, réelles ou simulées, ou toute représentation des organes sexuels d'un enfant, à des fins principalement sexuelles ”. En outre l’Article 3 stipule :
Chaque État Partie veille à ce que, au minimum, les actes et activités suivants soient pleinement couverts par son droit pénal, que ces infractions soient commises sur le plan interne ou transnational, par un individu ou de façon organisée : (…)
(c) Le fait de produire, de distribuer, de diffuser, d'importer, d'exporter, d'offrir, de vendre ou de détenir aux fins susmentionnées, des matériels pornographiques mettant en scène des enfants, tels que définis à l'article 2.
Le secteur de la lutte contre la traite a cessé d’utiliser le terme “ pornographie infantile” car il banalise le problème, stigmatise les victimes et rend difficile la sensibilisation ou un discours réfléchi. Le secteur préfère donc utiliser le terme “abus sexuel sur mineur” et “matériel pédopornographique”. Voir Ecpat International, Défense et campagnes (2016) et le groupe de travail interinstitutionnel du Luxembourg, directives de terminologie pour la protection des enfants contre l’exploitation et l’abus sexuel (2016).
D’autres exemples incluent des formes violentes, abusives et coercitives de pornographie. Voir par exemple l’encadré 15.
Linda Boreman, alias “Linda Lovelace”
Linda a commencé une carrière florissante dans l’industrie pornographique en 1972 sous la contrainte de son mari. Elle a joué dans l’un des films les plus populaires de l’époque, mais il a été révélé plus tard qu’elle avait été forcée à apparaître dans cette production. Postérieurement Linda est devenue un défenseur du mouvement contre la pornographie et a partagé son histoire dans le monde entier. Dans la citation suivante, elle partage son expérience de la première fois où elle a participé à un tournage pornographique:
“Mon initiation…était un viol collectif commis par cinq hommes … Cela a été un tournant décisif dans ma vie. Il a menacé de tirer sur moi avec un pistolet si je ne le faisais pas. Je n’avais jamais expérimenté le sexe anal auparavant et il m’a causé une déchirure. Ils m’ont traité comme une poupée gonflable de plastique, me relevant et me déplaçant ici et là. Ils ont écarté mes jambes dans tous les sens en enfonçant « leurs choses » en moi, ils jouaient aux chaises musicales avec des parties de mon corps.je ne m’étais jamais sentie aussi effrayée, déshonorée et humiliée de toute ma vie. J’avais l’impression d’être un déchet. Je suis livrée à des actes sexuels pour la pornographie contre ma volonté pour éviter d’être tuée. La vie des membres de ma famille était menacée.”
Le prélèvement d’organes est explicitement mentionné comme une finalité de l’exploitation dans l’article 3 du Protocole contre la traite des personnes. Contrairement aux autres finalités de l’exploitation citées à l’article 3 du Protocole (esclavage, servitude et exploitation sexuelle), le prélèvement d’organes n’est pas une pratique relevant intrinsèquement de l’exploitation.
L’organisation mondiale de la santé (OMS) a développé des directives qui fournissent les principes essentiels applicables à la transplantation des cellules, des tissus et des organes humains:
Les encadrés 17 et 18 illustrent deux cas de traite à des fins de prélèvement d’organes et leur impact sur la santé physique et mentale des victimes.
J’habitais dans le même district que Mr. B, qui avait connaissance des difficultés auxquelles je faisais face pour alimenter ma famille. Mr. B m’a approché et m’a dit que je pouvais donner un rein en échange de 1200 Euros. Il m’a également promis deux ‘bigah’ (1/2 hectare) de terre à Chitwan. Il m’a dit que l’extraction d’un rein ne produirait aucune différence dans mon état de santé. Je l’ai cru et en Juin 2010 nous avons réalisé un long voyage pour nous rendre dans un pays voisin. Nous sommes directement à un hôpital où j’ai été admis et où je suis resté 15 jours sous contrôle médical. Le dernier jour, un de mes reins a été prélevé et j’ai été immédiatement renvoyé au Népal. Je ne savais pas qu’extraire un rein ainsi constituait une infraction grave. Après mon retour, mon état de santé s’est rapidement détérioré. Je ne pouvais pas travailler et j’étais faible physiquement et mentalement. Mr. B ne m‘a pas donné tout ce qu’il m’avait promis, à l’exception d’une très petite somme d’argent. En Avril 2014, j’ai pris contact avec le Forum pour la protection des droits des personnes (PPR) et le PPR du Népal m’a fourni un appui en matière de traitement et de thérapie. Après quelques entretiens de conseils juridiques avec l’avocat du PPR dans mon district, un premier rapport d’incident a été déposé contre Mr. B en conformité avec la loi relative à la traite et au transport des êtres humains (Contrôle) de 2007, qui aboutit à un procès devant le tribunal de district. En Juin 2014, le tribunal de district imposa une peine de trois ans de prison à Mr. B.
Le défendeur a rencontré une personne appelée Yehia qui l’a forcé à vendre son rein pour 1500 dollars. Le défendeur s’est rendu en Irak avec Yehia, qui lui a confisqué son passeport à leur arrivée, l’a donné à un homme appelé Talal et a reçu 500 dollars en échange. Talal a ensuite emmené le défendeur à l’hôpital Al-Khayyal à Baghdad et une chirurgie a été effectuée pour lui prélever son rein gauche. Lorsque le défendeur est retourné en Jordanie, 500 dollars avaient été déposés sur son compte bancaire. Postérieurement, Yehia s’est réuni avec le défendeur et lui a demandé d’accompagner deux hommes en Irak pour vendre leurs reins. Le défendeur a accompagné les deux hommes en Irak, les a emmenés chez Talal, et a reçu 300 dollars en échange. Lorsque le défendeur se trouvait en Irak, les 300 dollars ont été volés. Le défendeur a été obligé de retourner en Jordanie sans argent et de laisser son passeport en Irak. Par la suite le défendeur déclara faussement avoir perdu son passeport au Centre de sécurité, et fut par conséquent référé à la Direction de lutte contre la corruption et poursuivi. Les actes qu’il avait commis, y compris le fait de vendre son rein et de convaincre trois personnes de vendre leurs reins pour 1300 dollars, étaient des actes prohibés par les Articles 10 et 4/c de la loi jordanienne relative à l’utilisation des organes humains. De plus, le fait de laisser son passeport au chauffeur est interdit par l’Article 18/b de la loi sur les passeports. Le tribunal imposa au défendeur une peine de prison d’un an pour chaque acte commis en violation des Articles 10 et 4/c de la loi relative à l’utilisation des organes humains. Il fut également condamné à 6 mois de prison pour avoir violé l’Article 18/b de la loi sur les passeports.
La servitude domestique est un type de travail qui peut être facilement exploité, et cela accroît le risque pour les personnes qui travaillent dans ce domaine de devenir des victimes de la traite. Le travail domestique est souvent invisible et sous-évalué, et est fréquemment effectué par des femmes et des jeunes filles. Les travailleurs domestiques sont souvent des migrants ou des membres de communautés défavorisées, qui peuvent être particulièrement vulnérables à la discrimination en matière de conditions d’emploi. Dans diverses juridictions, n’ont pas le même statut et ne sont pas traités de la même manière que les employés ordinaires dans d’autres secteurs d’emploi. L’OIT a adopté la Convention 189 relative à un travail décent pour les travailleurs domestiques pour régler cette situation. Elle se fonde sur le principe que le travail domestique devrait bénéficier de la même protection que toute autre forme de travail. La Convention prévoit un projet de loi comprenant dix droits pour les travailleurs domestiques.
Deux cas de traite à des fins de servitude domestique sont exposés dans les encadrés 20 et 21.
Mme Cinthia Vargas a recruté la victime, une mineure âgée de 12 ans, en lui promettant de l’emmener en Argentine pour qu’elle étudie. Après l’avoir introduite illégalement dans le pays, sans documentation, et en la faisant passer pour sa fille, la défenderesse l’a exploitée, l’a forcée à travailler comme domestique, l’a maltraitée et ne lui a pas payé le salaire convenu. La victime vivait apparemment en Bolivie avec sa mère et ses frères et sœurs, et sa mère lui a donné la permission de partir en Argentine avec Mme Vargas (défenderesse) et son mari Fermin (défendeur). Le couple avait deux enfants, âgés de 5 ans et 1 an, et les défendeurs exigeaient que la victime s’occupe d’eux. Mme Vargas travaillait dans un magasin d’alimentation et ordonnait à la victime d’emmener les enfants à l’école, de laver leur linge à la main, de cuisiner et de nettoyer. Fermin l’avait maltraitée et s’était livré à des attouchements sur elle.
Ils vivaient tous dans une même pièce, et partageaient le lit à cinq. L’accusée l’avait maltraitée, lui tirait les cheveux et la frappait avec une ceinture. Un jour, Fermin l’avait violée et cela l’avait incité à se confier aux voisins qui signalèrent le cas à la police. La victime ne pouvait pas écrire car elle n’était jamais allée à l’école.
Mme Vargas présentait la victime à d’autres personnes comme étant sa nièce. Selon la déclaration de la mère de la victime, les défendeurs n’avaient pas de liens de parenté avec la victime. Le procureur général accusa Mme Vargas et Fermin l’infraction de traite des personnes commis contre une mineur (145 ter de la loi 26.364). Les facteurs aggravants incluaient l’intense vulnérabilité de la victime, la tromperie, la violence et l’intimidation. Le procureur général demanda une peine de 11 ans de prison pour Fermin et 10 ans pour Cinthia.
Le citoyen des USA Mabelle de la Rosa Dann avait recruté une victime péruvienne P.C., pour qu’elle vienne aux USA et travaille comme bonne d’enfant et aide-ménagère en lui promettant qu’elle serait payée 600 $ par mois et qu’elle serait logée et nourrie gratuitement en contrepartie de cinq jours de travail par semaine durant les heures ouvrables. Mais lorsque P.C. arriva, Dann confisqua son passeport et refusa de la payer durant deux ans. P.C. travaillait régulièrement de 6h à 21h, et il lui était interdit de communiquer avec d’autres personnes ou d’écouter la radio et la télévision en espagnol. A un moment donné, Dann déclara à P.C. qu’elle lui devait 13,000$ et qu’elle devait travailler pour rembourser sa dette. Dann exigea aussi que P.C. lui signe un document déclarant qu’elle avait reçu le salaire minimum. Les agents du service de l’immigration et des douanes trouvèrent ce document ainsi que les papiers d’identité et le passeport péruviens de P.C. dans un tiroir à vêtements de Dann. Durant le procès, Dann fit valoir que le témoignage de P.C. était biaisé car elle mentait pour obtenir un T-visa et rester aux Etats Unis, et que leur relation était semblable à celle de deux membres féminins d’une même famille. Le gouvernement, en revanche, présenta un cas où Dann était une femme qui recherchait un service domestique bon marché ou gratuit, qui avait exploité P.C. et qui la faisait vivre dans des conditions qui se rapprochaient de l’esclavage. La Cour d’appel signala qu’étant donné que Dann avait été condamnée, son histoire avait été jugée comme moins crédible par le jury. La Cour de circuit examina la condamnation pour travail forcé, car Dann avait fait valoir que sa relation avec P.C. l’éloignait du statut de travail forcé. A cet effet, la Cour considéra l’histoire législative de la TVPA (2000) et signala que “ l’histoire législative suggère que le Congrès, en adoptant la loi, visait des cas dans lesquels des personnes se trouvaient dans une situation de servitude par le biais d’une coercition non violente.'" (2011 WL 2937944, *8 (C.A.9 (Cal.)) (en citant la loi relative à la protection des victimes de la traite et de la violence de 2000 § 102(b)(13)). La Cour de circuit a également signalé que “les mauvaises relations entre des employeurs et des employés ou même les mauvaises relations entre un employeur et une bonne d’enfants immigrante ne constituent pas toutes des situation de travail forcé. . . . la menace de préjudice doit être grave ” et l’employeur doit avoir “donné à penser à la victime qu’elle subirait un grave préjudice –du point de vue de la victime– si elle ne continuait pas à travailler.” Conformément à la section 1589, le point essentiel selon la Cour n’est pas seulement que “la menace d’un préjudice grave a été faite mais que l’employeur ait tenté de faire croire à sa victime qu’elle souffrirait ce préjudice.” La Cour a tenu compte des menaces faites par Dann et a examiné si du point de vue de P.C., ces menaces étaient suffisamment graves pour l’obliger à rester avec Dann. La Cour a examiné si les menaces d’un préjudice financier, contre sa réputation ou en matière d’immigration, et la menace d’un préjudice contre les enfants de Dann auraient été suffisantes pour obliger une personne raisonnable se trouvant à la place de P.C. à rester avec Dann.
Le recrutement ou l’enrôlement forcé de personnes dans des activités liées aux conflits armés peut aussi être une forme d’exploitation. En effet, les conflits armés peuvent augmenter considérablement le risque d’exploitation des personnes vulnérables. Pour plus d’informations sur les relations entre les conflits armés et la traite des personnes, voir le Module 7.
John a été enlevé lorsqu’il était âgé de 15 ans. Il était l’un des 700 enfants recrutés par la force par le Mouvement de libération nationale du Soudan du Sud. "Ils m’ont arrêté lorsque nous allions au jardin," a-t-il raconté à Al Jazeera. "La vie dans le bush était dure et si vous partiez, ils vous cherchaient jusqu’à ce qu’ils vous retrouvent et vous ramenaient de force. "La guerre civile dans le Soudan du Sud dure depuis cinq ans maintenant. Des millions de personnes ont été déplacées et tuées. La journée internationale contre l’utilisation d’enfants soldats a été célébrée lundi. Selon les NU, le nombre d’enfants recrutés au Soudan du sud continue à augmenter. Sarah, âgée de 13 ans, a également été enlevée par le Mouvement de libération nationale. "J’étais en train de travailler dans le jardin lorsque j’ai vu ces gens arriver et je suis partie en courant," dit-elle. "Ils m’ont dit de venir et m’ont demandé pourquoi je courais? Je me suis arrêtée et ils m’ont dit que si je courais ils me tireraient dessus, alors j’ai arrêté de courir."
Les groupes de défense des droits disent que presque tous les groupes armés dans le plus jeune pays du monde ont recruté des enfants pour combattre. Jeudi, le Mouvement national de libération a libéré plus de 300 enfants à Yambio. Le Brigadier Abel Matthew d’un groupe armé nie tout d’abord que les enfants soient enlevés contre leur volonté. "Ils n’étaient pas vraiment forcés mais les conditions à l’époque les ont obligés, ainsi que nous tous," dit-il à Al Jazeera. Près de 2000 enfants ont été démobilisés ces cinq dernières années mais ils ont été remplacés. Selon l’UNICEF, le nombre d’enfants soldats au Soudan du sud a augmenté depuis que la guerre a commencé en 2013, bien que toutes les parties au conflit aient déclaré à plusieurs reprises qu’ils avaient cessé de recruter des enfants et qu’ils avaient libéré ceux qui étaient déjà enrôlés.
De nombreux enfants qui avaient été libérés ne savaient pas où se trouvaient leurs familles. Pour d’autres, combattre était devenue une forme de vie. "La plus grande difficulté est la réinsertion," a confié Mahombo Mdoe de l’Unicef à Al Jazeera. "c’est un processus qui prend du temps, un enfant a besoin de deux ou trois ans pour retourner chez lui et se réinsérer. D’autres enfants doivent encore être libérés. "Notre véritable préoccupation est la réinsertion de ces enfants afin qu’ils ne soient pas à nouveau recrutés." John et Sarah disent ne pas vouloir retourner sur le champ de bataille. Mais ils craignent aussi ce qui les attend après leurs expériences passées, et se demandent s’ils vont être forcés à combattre de nouveau.
Étant donné qu’ils [personnes forcées d’abandonner leurs pays dans des situations de conflit ou postérieures au conflit] partent souvent précipitamment, ils prennent des risques qu’ils refuseraient de prendre dans des circonstances normales. Les conflits affaiblissent souvent les structures publiques, éliminent les mesures de protection initiatives et permettent aux réseaux criminels d’opérer plus librement, y compris en franchissant les frontières.
La coercition exercée sur des personnes pour qu’elles se livrent à des activités criminelles peut représenter une autre forme d’exploitation. Les activités criminelles forcées sont des activités lucratives et à bas risque pour les trafiquants. Les cas où les enfants font l’objet de la traite à des fins de mendicité (qui est une activité illégale dans certains pays) ou de vol à la tire sont bien connus. Il y a des exemples de victimes qui ont été forcés à commettre des infractions plus graves, comme par exemple la fabrication et le trafic de stupéfiants. Les victimes sont souvent forcées à se livrer à divers types d’activités criminelles simultanément.
Considérer les victimes de la traite comme des criminels discrédite fortement leur besoin de protection et peut créer une impunité des trafiquants. Cela exacerbe également les craintes existantes que peuvent ressentir les victimes envers les autorités et les services chargés de l’application de la loi, et les rend moins susceptibles de coopérer lors des enquêtes postérieures (lutte contre l’esclavage, 2014).
Les cas des enfants qui font l’objet de la traite à des fins d’exploitation de la mendicité forcée ou d’autres activités criminelles forcées sont souvent considérés comme des problèmes d’ordre public ou des infractions mineures contre les biens. Ce type de perception est extrêmement risqué car il augmente la probabilité que les victimes soient considérées comme des délinquants plutôt que comme des victimes. L’Union européenne a donc émis une directive qui oblige ses États membres à accorder aux procureurs et aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de ne pas poursuivre les cas où une personne a commis une infraction alors qu’elle victime de la traite: Commission européenne, Traite des enfants à des fins d’exploitation d’activités criminelles et de mendicité forcée (Octobre 2014); Article 8 de la Directive de l’UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la protection des victimes (Directive 2011/36/EU).
Il faut garder à l’esprit que les entretiens avec les intervenants ont confirmé que le contexte national et culturel (y compris la religion) est souvent essentiel pour déterminer si une situation spécifique est une forme d’exploitation liée à la traite. Ces facteurs semblent être particulièrement pertinents quand il s’agit de l’exploitation sexuelle et d’autres formes d’exploitation qui affectent particulièrement les femmes et les jeunes filles. Par exemple, dans les États où la prostitution est considérée comme une forme d’exploitation, il y aura une plus grande volonté de considérer les situations de prostitution comme indicatives ou prédictives de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Dans ces États l’exploitation sexuelle peut être considérée comme “pire” que d’autres formes d’exploitation.
Dans certains États, le concept d’un “mariage forcé ou servile ” est contraire à la culture et à la tradition nationales, et les intervenants ont clairement précisé qu’il devrait y avoir des circonstances pour déclencher une enquête sur un mariage à des fins d’exploitation liées à la traite. Les considérations relatives au contexte spécifique et culturel peuvent également avoir une importance significative dans les cas qui affectent les hommes et les garçons. Les considérations relatives à la culture jouent également un rôle lorsqu’il s’agit de déterminer si d’autres formes de mariage (comme le mariage des enfants ou le mariage temporaire) revêt un caractère d'exploitation.
La religion et l’appartenance ethnique peuvent aussi jouer un rôle lorsqu’il s’agit de déterminer si une pratique spécifique est une forme d’exploitation dans le contexte de la traite. Par exemple, dans un État, les intervenants ont signalé que les pratiques telles que le mariage des enfants et la mendicité des enfants pouvaient être vues de manière différente en fonction des antécédents ethniques des personnes impliquées. Ceci peut entraîner une sorte de discrimination inverse où l’exploitation qui ne serait pas tolérée au sein de la culture dominante est considérée plus acceptable lorsqu’elle implique des minorités ethniques spécifiques. Comme certains l’ont reconnu, l'exploitation des travailleurs migrants était considérée comme “normale” dans la culture nationale, au point que cette exploitation ne sera rapidement reconnue comme de la traite, notamment en comparaison avec les situations qui impliquent les ressortissants nationaux.
A quelques exceptions près, les intervenants confirment la nécessité de conserver une certaine flexibilité pour déterminer et comprendre l’exploitation liée à la traite. L’émergence de formes nouvelles ou de formes cachées d’exploitation, les changements de la méthodologie criminelle et une meilleure compréhension de la manière dont l’exploitation a lieu sont signalés comme des facteurs soulignant l’importance d’une approche de ce type. Toutefois il a également été signalé que (par beaucoup moins d’intervenants) une loi imprécise n’est pas une bonne loi: c’est-à-dire que les principes de base de la légalité et de la justice exigeaient que les infractions soient déterminées avec certitude. La question de savoir comment ces deux importants principes pouvaient être réconciliés n’a pas été traitée. (ONUDC, le concept de l’exploitation dans le Protocole contre la traite des personnes : document de travail (2015).)