Tous les trafics illicites d'enfants, et une proportion importante de la traite des enfants, ont lieu dans le contexte de la migration des enfants. Les enfants, y compris ceux qui sont seuls et ceux qui sont accompagnés par des membres de leur famille, représentent un pourcentage croissant des migrants irréguliers dans le monde. Bien que les mouvements transfrontaliers d'enfants soient difficiles à mesurer, les données de nombreuses organisations et gouvernements illustrent l'ampleur du problème. Les statistiques du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) montrent que plus de la moitié des réfugiés dans le monde sont des enfants (2016). En compilant des données provenant de différentes régions, l'UNICEF (2017) - le Fonds des Nations Unies pour l'enfance - déclare, par exemple, que 100 000 enfants non accompagnés et séparés ont été interpellés à la frontière États-Unis - Mexique et 170 000 de ces enfants ont demandé l'asile en Europe.
Comme pour les flux de tous les migrants en situation irrégulière, les flux d'enfants migrants sont mixtes. Certains sont demandeurs d'asile et réfugiés, tandis que d'autres sont à la recherche d'opportunités économiques et sociales. Certains sont victimes de la traite et d'autres crimes, tandis que d'autres font l'objet de trafic illicite. Certains sont non accompagnés ou séparés de leur famille, tandis que d'autres voyagent avec eux. Ces catégories ne sont pas toutes exclusives ; dans de nombreux cas, elles peuvent se chevaucher. Un enfant peut être un migrant faisant l'objet d'un trafic illicite et une victime de la traite (voir Module 11 pour le chevauchement entre le trafic illicite et la traite), et ce même enfant peut également être demandeur d'asile. Certaines de ces catégories bénéficient d'une protection spécifique en vertu du droit international et du droit national, en plus de celles accordées aux enfants en raison de l'enfance elle-même. Par exemple, les réfugiés ont un droit contre le refoulement, tandis que les États sont tenus d'accorder aux victimes de la traite diverses mesures d'assistance (voir Module 8). Les principes internationaux relatifs à la protection des enfants sont examinés dans la section du présent Module sur la Protection des Enfants faisant l'objet de trafic illicite et de traite: Le Cadre Juridique International.
Nonobstant les catégories, légales ou non, dans lesquelles ils entrent, tous les enfants sont vulnérables aux dangers et aux risques du processus de migration. Leurs vulnérabilités particulières varient en fonction de leurs caractéristiques et circonstances personnelles, des raisons pour lesquelles ils quittent leur pays d'origine et des conditions qu'ils rencontrent pendant leur migration. Lorsque, entre autres, les enfants sont de sexe féminin, non accompagnés, particulièrement jeunes, ont été victimes de mauvais traitements ou souffrent de maladies mentales ou de handicaps, ils peuvent être plus vulnérables (UNICEF 2017). Le manque fréquent de ressources financières et d'accès des enfants aux réseaux sociaux accroît également leur vulnérabilité. Ils sont plus facilement mis en danger par les trafiquants et sont plus vulnérables à l'exploitation et à la participation forcée à des activités criminelles (Sanchez 2017, pp. 16-17 ; Dimitriadi 2017, p. 43). Il convient toutefois de noter que leur vulnérabilité n'est pas inhérente ; elle est créée par une dynamique structurelle et sociale d'inégalité et de discrimination qui se manifeste par "des niveaux inégaux et diminués de pouvoir et de jouissance des droits" (Assemblée générale des Nations Unies 2018, paragraphe 14).Tout comme les enfants ont des niveaux différents de vulnérabilité, ils ont des degrés variables de capacité d'action, aussi bien dans la prise de décisions migratoires que pendant le processus de migration lui-même. Les enfants ne sont pas un groupe homogène, ni passif; les enfants expriment leurs capacités d'action et leurs aspirations, tout comme les adultes (Bhabha 2014, p. 9).
En raison des différences de vulnérabilité, de besoins et de capacité d'action des enfants, les cadres juridiques et les systèmes de protection de l'enfance des États doivent prévoir des mécanismes permettant d'identifier le statut et les besoins de protection et les droits de chaque enfant, donner accès à des systèmes supplémentaires si nécessaire (tels que des procédures d'asile et des services aux victimes de la traite) et adapter les solutions à l’intérêt supérieur des enfants. La manière dont les enfants devraient être protégés est examinée plus en détail et en pratique dans la section du présent Module sur la Protection en Pratique.
Comme décrit dans le Module 5, les migrants qui souhaitent migrer, mais qui n'ont pas accès aux voies légales de migration, font souvent appel aux services illicites de trafiquants de migrants. Les trafiquants, qui peuvent faire partie de groupes criminels organisés, répondent à la demande créée par ces migrants pour générer des profits. D'une manière générale, lorsque les voies légales sont inexistantes, limitées, inefficaces ou trop coûteuses, les enfants (ou les personnes chargées de leur migration) qui souhaitent quitter leur pays d'origine, peuvent considérer les services des trafiquants de migrants comme leur meilleure ou unique option viable. Le trafic illicite des migrants se développe au rythme de la mise en place des politiques de migration restrictive et devient de plus en plus lucratif à mesure que le contrôle migratoire évolue (Zhang, Sanchez et Achilli 2018, pp. 10, 13). Les trafiquants peuvent aider les enfants à planifier leur voyage, à quitter leur pays d'origine, à franchir les obstacles géographiques et les frontières des pays de transit et à atteindre des destinations qui leur sont autrement fermées (Koser 2010 ; Gallagher 2015).
L'ampleur réelle du trafic illicite d'enfants n'est pas connue. Comme c'est le cas pour le trafic illicite en général, les statistiques précises sont généralement rares ou, dans de nombreux cas, inexistantes (voir Baird 2013, qui affirme qu'il y a " très peu " de recherches sur les enfants migrants faisant l'objet de trafic illicite). En raison de la nature souvent clandestine du trafic illicite, de nombreux enfants qui en font l'objet ne sont pas détectés. En outre, de nombreux États ne collectent pas de données sur le trafic illicite de migrants et encore moins de données ventilées sur le trafic illicite d'enfants (voir Baird et van Liempt 2016). Néanmoins, même en l'absence de statistiques fiables, il semble évident qu'un nombre important d'enfants ont recours aux services de trafiquants. Europol (2016, p. 2) estime que 90 % de tous les migrants en situation irrégulière entrant en Europe font l'objet d'un trafic illicite, tandis qu'on estime qu'entre 80 et 95 % des migrants appréhendés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique le sont. L'ONUDC (2018) note qu'il y a de plus en plus d'enfants non accompagnés et séparés parmi les migrants faisant l'objet d'un trafic illicite sur certains itinéraires", une observation faite par l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) (2016). Selon des données empiriques, le nombre d'enfants embarqués sur des navires de trafic illicite, interagissant avec des trafiquants, violentés ou tués lors de voyages de trafic illicite a augmenté de façon exponentielle au cours des dernières années.
Tous les voyages de trafic illicite n'impliquent pas des abus ou de l'exploitation. Dans de nombreux cas, la facilitation de la migration irrégulière à des fins lucratives, tout en étant un crime, n'expose pas les migrants à des menaces pour leur vie et leur sécurité. Néanmoins, le processus de trafic illicite peut poser de nombreux et graves risques pour la vie, la sécurité et le bien-être des enfants, au-delà de ceux qui touchent les migrants adultes. Le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Droits de l'Homme des Migrants (2009, par. 23) a souligné que " les enfants non accompagnés ou séparés de leurs parents sont particulièrement vulnérables aux violations des droits de l'homme et aux abus à tous les stades du processus de migration ". Les cas et les exemples d'abus et d'exploitation d'enfants, y compris ceux qui ne sont pas accompagnés, sont bien documentés. Les rapports de Human Rights Watch, UNICEF et REACH entre autres, contiennent des informations détaillées sur les enlèvements, les demandes de rançons, l'extorsion, la violence sexuelle et sexiste, le viol et la grossesse forcée, les sévices physiques, la servitude pour dettes, l'esclavage et la torture d'enfants lors de voyages de trafic illicite. Comme indiqué dans le Module 11, le trafic illicite de migrants et la traite des personnes s'inscrivent souvent dans un continuum (voir McAdam 2015). Ce n'est pas moins le cas dans le contexte des enfants.
En 2017, l'UNICEF a publié un rapport sur les enfants qui traversent l'Afrique vers l'Italie. Le rapport constate que “[L]es enfants et les femmes qui entreprennent cet exode sont forcés de vivre dans l’ombre, sans protection, dépendants des passeurs et à la merci des individus pratiquant la traite” (p. 5). Dans une section du rapport sur les passeurs, il est indiqué :
“Les passeurs font payer aux femmes et aux enfants entre 200 et 1 200 dollars US chacun pour entreprendre le voyage. Lorsqu’on leur a demandé s’ils avaient payé quelqu’un pour les aider à migrer, presque tous les enfants interrogés ont indiqué avoir payé des passeurs, même s’il reste difficile de savoir s’ils ont effectué ce paiement eux-mêmes ou non.
En outre, environ trois quarts des enfants ont précisé qu’une autre personne les avait aidés pendant le voyage. Dans presque tous les cas, il s’agissait d’un membre de la famille, proche ou éloignée, ou de voisins. Plusieurs enfants ont aussi mentionné que la police ou d’autres représentants des autorités publiques les avaient aidés à un moment ou à un autre pendant le trajet.
Presque toutes les femmes interrogées ont indiqué avoir payé un passeur au début de leur périple pour rejoindre la Libye. Après quoi, il était entendu qu’elles travaillent une fois là-bas afin de rassembler l’argent nécessaire pour payer l’étape suivante de leur trajet vers l’Europe.
Les femmes et les enfants ont aussi précisé avoir eu besoin d’argent pour acheter des provisions pendant le voyage, notamment de la nourriture et d’autres produits de première nécessité. Environ 75 % des personnes ayant participé à l’enquête ont emprunté en moyenne 650 dollars à leur famille ou à des voisins afin de pouvoir couvrir ces frais.
Certaines personnes interrogées ont indiqué avoir été victimes de mauvais traitements de la part des passeurs. Elles disent avoir été constamment inquiètes lorsqu’on les déplaçait d’un lieu à un autre ou qu’on les remettait entre les mains d’un autre passeur qu’elles ne connaissaient pas.
Les milices contrôlent et exploitent les « maisons d’échange », ces lieux où les migrants sont transférés d’un passeur à un autre. Il est également connu que les passeurs amènent des migrants des centres de détention vers ces maisons d’échange où ils les forcent à travailler pour une période dont la durée dépend de leur bon vouloir” (p. 10).
Comme l'indique le Rapport mondial sur la Traite des Personnes de 2018 (p. 13), "[l]a traite des enfants - en particulier des filles - demeure une préoccupation majeure ". Comme pour le trafic illicite d'enfants, l'ampleur réelle de la traite des enfants n'est pas connue. Néanmoins, la proportion de victimes de la traite qui sont des enfants est importante : 30 % des victimes détectées sont des enfants. Les chiffres varient toutefois d'une région à l'autre. Par exemple, plus de 50 % des victimes détectées en Italie et au Mali sont des enfants, alors qu'en Amérique du Nord et en Indonésie, ce pourcentage tombe à moins de 30 % (il convient de noter que la comparabilité des données entre les pays n'est pas exacte; il existe des différences dans les pratiques de détection et de collecte des données).
Les enfants en déplacement sont particulièrement vulnérables à être placés dans des situations de traite. C'est particulièrement le cas lorsque les enfants voyagent sans parent ou tuteur légal, même s'ils sont accompagnés d'autres migrants. Ils peuvent faire l'objet d'extorsion pour des frais de trafic illicite, être contraints de travailler pour rembourser des dettes dans les pays de transit, et peuvent être victimes de harcèlement sexuel et physique, d'abus ou d'exploitation. La traite à des fins d'exploitation sexuelle est particulièrement fréquente, bien que les enfants puissent aussi être contraints de travailler dans divers secteurs tels que l'agriculture, l'exploitation minière, la fabrication ou la mendicité (OIT, UNICEF et UNGIFT 2009, pp. 28-29). Les enfants peuvent être placés dans des situations de travail forcé pendant qu'ils sont en transit ou dans les pays de destination : " Cela est évident dans les cas où les migrants sont placés en servitude pour dettes afin de payer des dettes liées au trafic. Dans de tels cas, ils peuvent passer des mois ou des années à travailler dans des conditions d'exploitation dans les pays de transit et de destination " (Schloenardt et Lelliott 2018, pp. 116-117).
Bien entendu, cela ne veut pas dire que les enfants sont exclusivement victimes de la traite dans le contexte de la migration. Le crime de la traite, conformément à la définition de l'article 3 du Protocole contre la Traite des Personnes (voir Module 6), ne requiert pas un caractère transnational. Un enfant peut être victime de la traite dans son État d'origine, y compris dans son propre village. En effet, le Rapport mondial sur la Traite des Personnes de 2018 note que la plupart des victimes sont détectées à l'intérieur des frontières de leur propre pays. On ignore si cela reflète les chiffres et les tendances réels de la traite (en reconnaissant la probabilité que la plupart des victimes de la traite ne soient pas détectées).
Dans son Chapitre sur la Migration et la Traite des enfants en Asie du Sud-Est, van Doore (2018) décrit certains des schémas et caractéristiques de la traite des enfants en Asie du Sud-Est. Elle déclare que:
"Dans la région ... les enfants sont victimes de la traite du Cambodge vers la Thaïlande pour la mendicité ; du Viêt Nam et du Myanmar vers le Cambodge et la Thaïlande pour l'exploitation sexuelle ; et du Laos vers la Thaïlande pour le travail domestique ou industriel. Les filles voyagent du Viêt Nam et du Myanmar vers la Chine pour des mariages forcés; et les garçons du Myanmar vers la Thaïlande pour travailler dans l'industrie de la pêche. Des enfants sont également victimes de la traite à l'intérieur des pays de la région, par exemple des filles des zones rurales du Cambodge vers les centres urbains à des fins d'exploitation sexuelle. […]
[L]es trafiquants d'enfants utilisent les mêmes méthodes dans toute la région. Les enfants sont " trompés par une connaissance ou un parent, pris par la force, enlevés ou kidnappés ou pris avec le consentement des parents ou des tuteurs, qui a été obtenu par un paiement ou un avantage pour l'adulte". L'objectif de ce trafic est essentiellement l'exploitation par le travail, mais il inclut également la traite à des fins d'exploitation sexuelle, d'adoption illégale et de mendicité "”