Les obligations qui incombent aux États en vertu du Protocole contre la traite des personnes, en particulier celles qui découlent de l'article 5, exigent le recours aux systèmes de justice pénale nationaux et à des mesures visant à prévenir et à combattre la traite. Les personnes qui commettent l'infraction de traite des personnes, telle que définie dans le Protocole, doivent être soumises à des infractions pénales en droit interne. De cette façon, les systèmes de justice pénale sont adaptés pour répondre à la traite, dans la mesure où ils sont le moyen par lequel ces délinquants peuvent être punis. Toutefois, les systèmes de justice pénale peuvent également jouer un rôle efficace et préventif dans la lutte contre la traite, en prévenant la perpétration d'autres crimes et en réduisant les niveaux généraux de criminalité. La prévention est l'un des objectifs du Protocole contre la traite des personnes.
Il est important de noter que, dans la mesure où les systèmes de justice pénale jouent un rôle dans la lutte et la prévention de la traite des personnes, ce rôle doit être exercé d'une manière qui tienne compte des besoins de protection des victimes et respecte pleinement leurs droits fondamentaux. La justice pénale et les approches de la traite fondées sur les droits de l'homme doivent être considérées comme complémentaires et se renforçant mutuellement. Les droits des victimes sont examinés ci-dessous.
En termes simples, la traite des personnes est un crime commis par des délinquants. En tant que telle, une réponse appropriée et efficace pour prévenir la traite est la poursuite et la sanction des délinquants. Cela a le double effet de retirer les délinquants de la collectivité et de dissuader d'autres personnes de commettre le crime. La motivation première des délinquants est souvent de tirer profit de l'exploitation de leurs victimes. S'ils sont exposés à un risque important et réel de poursuites judiciaires, de longues peines d'emprisonnement et de confiscation de leurs profits, cela contribue à réduire leur motivation criminelle.
Le rôle du système de justice pénale dans la lutte contre la traite des personnes est reconnu par les Gouvernements, les organismes des Nations Unies, les ONG et les universitaires, et s'appuie sur les principes établis de la criminologie. Par exemple, dans son Rapport mondial sur la traite des personnes de 2014, l’ONUDC (2014a) a déclaré que:
“Il est clair que sans une réponse forte de la justice pénale, la traite des êtres humains restera une activité à faible risque et à profit élevé pour les criminels.”
De même, dans son Rapport mondial sur la traite des personnes de 2016, l’ONUDC (2016) a observé:
"Malheureusement, le nombre moyen de condamnations reste faible. Les conclusions de l'ONUDC montrent qu'il existe une corrélation étroite entre la durée d'application de la loi sur la traite et le taux de condamnation. C'est un signe qu'il faut du temps, des ressources et de l'expertise pour poursuivre les criminels. Le message principal du Rapport 2016 est peut-être que des percées ont été faites dans ce crime horrible. Nous devons toutefois continuer à mettre en place la coopération et la collaboration indispensables au niveau international, ainsi que les compétences nécessaires en matière de détection et de répression aux niveaux national et régional pour détecter les affaires de traite des personnes, enquêter sur ces affaires et engager des poursuites avec succès".
Les conclusions du Rapport mondial sur la traite des personnes de 2018 confirment également une corrélation entre l'augmentation des réponses institutionnelles et l'augmentation du nombre de condamnations (ONUDC, 2018).
Le rapport Human Rights First 2017 intitulé "Comment perturber l'activité de la traite des êtres humains" souligne :
"Il faut changer l'équation pour les trafiquants. L'accent doit être mis sur la perturbation des activités de la traite des personnes. Les experts s'entendent pour dire que la traite des personnes doit être combattue sur plusieurs fronts, notamment en fournissant des données plus fiables, en améliorant les poursuites, en augmentant le coût et le risque de la traite pour les auteurs et les facilitateurs, en renforçant les partenariats avec des alliés du secteur privé... Les poursuites pour traite des personnes doivent cibler toutes les personnes impliquées dans cette activité criminelle. Les services de détection et de répression et les procureurs doivent atteindre cet objectif en faisant appel à une expertise accrue, en adoptant une approche centrée sur la victime et en améliorant l'accès aux outils d'enquête et de poursuite ".
La dissuasion est traditionnellement un élément central de la sanction pénale, obtenue par l'imposition de peines aux délinquants. Dans le contexte de la traite des personnes, l'objectif est de dissuader à la fois le délinquant de commettre d'autres infractions et la population en général de commettre le crime (ce qu'on appelle respectivement la dissuasion "spécifique" et "générale") (voir Beyleveld, 1979 pour un aperçu du concept). La dissuasion n'est qu'un objectif parmi d'autres pour punir les délinquants criminels. D'autres incluent :
A titre d'exemple, l'article 142 de la Loi de 2003 sur la justice pénale du Royaume-Uni dispose ce qui suit :
Objectifs de la détermination de la peine
(1) Tout tribunal qui a affaire à un délinquant à l'égard de son infraction doit tenir compte des objectifs suivants de la détermination de la peine—
(a) la punition des délinquants,
(b) la réduction de la criminalité (y compris sa réduction par la dissuasion),
(c) le redressement et la réhabilitation des délinquants,
(d) la protection du public, et
(e) la réparation par les délinquants aux personnes touchées par leurs infractions.
Néanmoins, l'efficacité de la dissuasion, tant spécifique que générale, a été largement remise en question par les experts. C'est un sujet controversé et souvent l'objet de désaccords considérables (voir, par exemple, Bagaric et Alexander, 2012). En particulier, l'efficacité de peines plus sévères pour les infractions futures a souvent été mise à l'épreuve et remise en question.
Plutôt que de se concentrer uniquement sur la dissuasion et la punition, les réponses de la justice pénale à la traite des personnes devraient idéalement englober un éventail plus large de stratégies de prévention du crime. Il s'agit notamment d'approches conçues pour renforcer les communautés et s'attaquer aux facteurs structurels qui conduisent à la traite. Ces facteurs comprennent le dénuement socio-économique, l'inégalité, les situations de conflit et d'après-conflit, la discrimination et la persécution. Cela est conforme à l'objectif de développement durable numéro 16 des Nations Unies, qui appelle à la promotion de sociétés pacifiques et inclusives, à l'accès à la justice pour tous et à des institutions responsables et inclusives.
Les systèmes de justice pénale des États englobent un large éventail d'acteurs et d'institutions. Cette section donne un aperçu du rôle de certains acteurs clés de la justice pénale impliqués dans la poursuite des trafiquants, notamment les procureurs, les avocats de la défense, la police et le système judiciaire. Les forces de police jouent également un rôle important dans la prévention du crime.
Les responsabilités des procureurs à l'égard des victimes comprennent (ONUDC, 2014b; Conseil de l'Europe, 2017):
C'est le rôle de l'avocat de la défense de représenter l'accusé avant, pendant et après le procès, d'assurer une défense compétente et de protéger les droits de l'accusé en vertu de la loi. Cela comprend la demande de mise en liberté sous caution de leurs clients, s'il y a lieu, et la présentation de leur défense au procès et la présentation d'un plaidoyer d'atténuation lors de toute audience de détermination de la peine. Ainsi, ils auront l'occasion de contre-interroger la victime et d'appeler à témoigner d'autres témoins.
Bien que l'avocat de la défense puisse procéder à un contre-interrogatoire rigoureux, il n'est pas autorisé à harceler le témoin ni à agir d'une manière tyrannique, irrespectueuse ou injuste (Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, 1990). En tout temps, les procédures judiciaires doivent être menées d'une manière juste, humaine et responsable, en tenant compte à la fois des droits de la victime et de ceux de l'accusé (voir ODD 16 et le préambule de la Déclaration de Doha).
Les responsabilités de la police dans le cadre du procès comprennent la présentation de preuves pour l'accusation, la gestion de la sécurité/protection des victimes et des autres témoins de l'accusation et le contrôle des délinquants qui sont détenus, notamment :
La responsabilité des juges est de gérer le procès pénal afin de s'assurer qu'il soit juste, équitable et qu’il se déroule conformément à la loi. S'ils ne le font pas, ils risquent un procès inéquitable, ce qui peut nécessiter un deuxième procès au cours duquel les victimes devront répéter leur témoignage. Autrement, les trafiquants pourraient être libérés s'ils obtiennent gain de cause en appel ou s'il n'y a pas d'autres poursuites après un vice de procédure. Les juges ont plusieurs fonctions, notamment :
Lorsque les trafiquants sont poursuivis et reconnus coupables, ils doivent être punis comme il convient par l'État. La punition est importante car elle montre que la société désapprouve la conduite. Si la législation nationale contre la traite des personnes devrait prévoir de lourdes peines pour la traite des personnes, concomitamment à la gravité de l'infraction, elle peut aussi prévoir des peines plus lourdes lorsque la situation de l'accusé ou l'infraction particulièrement grave l'exige. Ces circonstances aggravantes peuvent être divisées en trois groupes généraux, selon qu'elles concernent l'auteur de la traite, la victime de la traite ou l'acte de traite lui-même (ONUDC, 2008, p. 43 à 44). Parmi les exemples que l'on peut trouver dans la législation nationale, on peut citer :