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Stratégies possibles pour " inverser la tendance"

Compte tenu des difficultés liées aux enquêtes et aux poursuites contre les trafiquants, et compte tenu de l'obligation de respecter les droits des victimes, il est urgent d'élaborer et de mettre en œuvre des cadres juridiques et des stratégies, politiques et pratiques solides en matière de justice pénale, notamment en fournissant la formation et les ressources nécessaires pour relever ces défis. Ces mesures ont permis d'améliorer l'identification des victimes et l'efficacité des réponses de la justice pénale, comme le montre le Rapport mondial 2018 sur la traite des personnes de l'ONUDC.

Figure 1: Impact des mesures de lutte contre la traite sur l'identification des victimes

Gallagher et Holmes (2008) identifient huit aspects essentiels d'une réponse efficace de la justice pénale à la traite, notamment:

  • Un cadre juridique global autour de la traite, qui soit conforme au Protocole contre la traite des personnes.
  • Un organisme spécialisé dans l'application de la loi chargé d'enquêter sur les cas de traite des personnes.
  • Dans le même ordre d'idées, une capacité générale d'application de la loi pour appuyer les spécialistes.
  • Un soutien solide et bien informé de la part des procureurs et des juges.
  • L'identification rapide et précise des victimes, ainsi que la fourniture d'une protection et d'un soutien.
  • Soutien spécial aux victimes en tant que témoins.
  • Systèmes et processus permettant une coopération internationale et judiciaire efficace dans les affaires de traite.
  • Une coordination efficace entre les acteurs qui soutiennent les initiatives de lutte contre la traite.

Chacun de ces éléments est examiné en détail dans l'article précité. La présente section porte sur trois stratégies : des initiatives efficaces en matière d'enquêtes et de poursuites, la réforme du droit et la collaboration transfrontalière entre les États

Initiatives efficaces en matière d'enquêtes et de poursuites

Si la communauté mondiale veut renverser la tendance contre les trafiquants, elle doit intensifier considérablement ses efforts et examiner l'efficacité de nombreuses stratégies existantes de lutte contre la traite. En particulier, il est nécessaire de mettre en place des mesures transfrontalières sophistiquées et dotées de ressources suffisantes pour lutter contre la traite des êtres humains. Cela prendra du temps et nécessitera la coopération de la communauté mondiale. Il faudra également du temps pour favoriser une meilleure compréhension, parmi les responsables de l'application de la loi et les magistrats, des circonstances complexes et des problèmes de preuve que posent de nombreuses affaires de traite des personnes. Parallèlement, il est nécessaire d'accroître la capacité des acteurs nationaux de la justice pénale (y compris la police, l'immigration, les services de lutte contre le blanchiment d'argent, les procureurs et les juges) à enquêter et à poursuivre les trafiquants et à saisir le produit de leurs crimes.

Les organismes d'application de la loi et les procureurs devraient se voir offrir une formation axée sur les compétences et disposer du financement, des ressources et de l'équipement nécessaires pour s'acquitter efficacement de leurs responsabilités. Conformément au Recueil des normes et standards des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale cela devrait inclure:

  • Une formation de base sur la traite des personnes couvrant les éléments de la traite et les crimes connexes, comprenant les peines et les circonstances aggravantes. La formation concernant la collecte de preuves, l'implication de la corruption et les schémas de trafic transnational est également importante.
  • Une formation en matière d'enquête, comprenant la surveillance, l'examen des lieux du crime, les entrevues avec les victimes-témoins et délinquants, l'écoute électronique et la collecte de données sur les ordinateurs et autres dispositifs de stockage électronique.
  • Une formation sur la défense des intérêts des poursuivants, comprenant le contre-interrogatoire des contrevenants et de leurs associés, la convocation et le contre-interrogatoire des témoins experts et l'utilisation des éléments de preuve devant les tribunaux.
  • La protection, la gestion sensible et l'assistance aux victimes par tous les acteurs de la justice pénale.
  • Une formation judiciaire concernant les éléments du crime, ainsi que les réponses appropriées au traumatisme et à la vulnérabilité des victimes, comprenant les directives et les procédures pour les témoins vulnérables.

David (2010) souligne l'importance d'un financement et d'une formation adéquats des acteurs chargés de l'application de la loi, soutenant que, entre autres choses, une formation adéquate nécessite " la sensibilisation des hauts responsables de l'application de la loi à la traite des personnes en tant que problème et type de crime dans la communauté locale. Pour obtenir un impact maximal, cette formation devra probablement inclure la présentation d'études de cas réels, soit à l'intérieur de la zone locale, soit dans des zones présentant des caractéristiques similaires à celles de la zone locale ".

Bien que le nombre de poursuites fructueuses signalées soit faible, même ces chiffres peuvent exagérer les réalisations du secteur de la lutte contre la traite des êtres humains. Les informations disponibles donnent à penser que la majorité des affaires concernent la condamnation d'une ou deux personnes seulement, dont la plupart sont des acteurs de bas niveau au sein des organisations de trafiquants qui sont facilement remplacées. Les chiffres officiels peuvent également sous-estimer le nombre de poursuites fructueuses engagées contre les trafiquants. Lorsque les États n'ont pas de législation spécifique relative à la traite, il se peut que les trafiquants soient condamnés et punis sans avoir recours à des lois conformes au Protocole contre la traite des personnes. Bien entendu, ces lois peuvent omettre certains éléments de l'infraction de traite prévue par le Protocole, inclure d'autres éléments qui ne sont pas envisagés, ou prévoir des sanctions insuffisantes pour traiter de la gravité de l'infraction.

En fin de compte, la traite des personnes est une entreprise et, comme toutes les entreprises, elle fonctionne selon le principe du profit et de la perte. Une intervention de la justice pénale doit éliminer ces profits et augmenter le risque d'appréhension. Pour ce faire, les services de détection et de répression et les procureurs doivent s'efforcer de poursuivre et de punir les délinquants les plus " chevronnés " au sein des syndicats du crime transnational. En outre, et compte tenu du fait que la traite prospère dans certaines situations, les stratégies de prévention du crime doivent également se concentrer sur les conditions structurelles qui augmentent les risques de traite. Il s'agit notamment d'améliorer les conditions socio-économiques dans les communautés, de protéger les personnes en situation de conflit et d'après-conflit et d'adopter des procédures de protection de l'enfance pour retirer les enfants en danger.

Figure 2: Délinquants potentiels

Source: ONUDC, Questions relatives à la preuve dans les affaires de traite des personnes - Recueil de jurisprudence (2017)

Les méthodes d'enquête et de poursuite devraient également tenir compte de la nécessité de stratégies différentes pour les différents types de délinquants. Par exemple, les aspects de la délinquance liés au genre devraient être intégrés et l'accent devrait être mis davantage sur la compréhension des voies menant à la délinquance. Comme l'affirme Broad (2015, p. 1073), "[une] approche plus réactive de la traite prendrait au sérieux les antécédents des délinquants qui commettent ces infractions, en tenant compte de leur parcours migratoire, de la nature de leurs relations intimes et de leurs multiples expériences d'exploitation ".

Entreprendre une réforme prioritaire du droit

La communauté internationale devrait continuer d'encourager les pays à ratifier le Protocole contre la traite des personnes ou à y adhérer et à adopter une législation nationale érigeant cette infraction en infraction pénale. En janvier 2019, 173 États faisaient parties du Protocole. En outre, chaque État devrait revoir et, le cas échéant, réformer les lois existantes afin de donner aux services de détection et de répression, aux procureurs et aux juges les moyens d'agir et d'éliminer les obstacles à la rapidité et à l'efficacité des enquêtes et des poursuites contre les trafiquants présumés. Cela devrait notamment:

  • Permettre aux organismes d'application de la loi et aux tribunaux de collaborer avec leurs homologues transfrontaliers et de simplifier le processus d'extradition des délinquants et d'obtention de preuves auprès de témoins se trouvant dans d'autres pays.
  • Permettre aux organismes d'application de la loi d'obtenir des mandats judiciaires pour effectuer une surveillance audio, vidéo et électronique des trafiquants présumés.
  • Permettre aux procureurs d'offrir aux délinquants de bas niveau des négociations de plaidoyer ou l'immunité de poursuite en échange de leur témoignage contre des délinquants confirmés.
  • Permettre aux organismes gouvernementaux de retracer et de saisir les produits du crime et ordonner aux banques et aux institutions financières de refuser de fournir des services bancaires aux trafiquants et de geler leurs services existants.
  • Créer des services de détection et de répression et des tribunaux spécialisés dans la lutte contre la traite, chargés d'accélérer les enquêtes et les poursuites contre les trafiquants dans les pays où la traite des personnes est très répandue.
  • Permettre aux procureurs de demander des indemnisations contre les trafiquants en faveur des victimes.
  • Permettre aux tribunaux de donner aux victimes la possibilité d'être entendues au moyen de la déclaration de la victime au moment de la détermination de la peine.

Établir une collaboration et une assistance transfrontalières fonctionnelles entre les pays dans lesquels la traite transnationale des êtres humains a lieu.

La nature transnationale de la traite des personnes complique la détection de la criminalité, l'identification des membres d'organisations criminelles, la collecte et le rassemblement de preuves et l'arrestation et l'extradition des délinquants. Ces défis, s'ils ne sont pas relevés, menacent de saper l'administration de la justice et l'état de droit dans de nombreux pays. Comme on l'a vu plus haut, la coopération internationale est essentielle au succès des enquêtes et des poursuites.

Le paragraphe 3 de l'article 18 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée dispose que les États Parties s'accordent mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible dans le cadre des enquêtes, poursuites et procédures judiciaires relatives aux infractions visées par la Convention (voir aussi le Module 11 sur la coopération internationale dans la série universitaire contre la criminalité organisée). Une assistance mutuelle peut être demandée pour:

  • Recueillir les dépositions ou les déclarations des témoins.
  • Effectuer la signification ou la notification des actes judiciaires.
  • Exécuter des perquisitions et des saisies et geler des avoirs.
  • Examiner des objets et des sites.
  • Fournir des informations, des éléments de preuve et des évaluations d'experts.
  • Fournir des originaux ou des copies certifiées conformes des documents et dossiers pertinents, y compris des documents gouvernementaux, bancaires, financiers, d'entreprise ou commerciaux.
  • L'identification ou la localisation du produit du crime, des biens ou d'autres biens à des fins de preuve et leur saisie à des fins de confiscation (voir l'article 13 de la Convention).
  • Faciliter la comparution volontaire des personnes devant le tribunal de l'État requérant.
  • Tout autre type d'assistance qui n'est pas contraire au droit interne de l'État requis.
  • International cooperation requires commitment between States and their agencies, which may itself be challenging. Yet, as the examples that follow show, it can lead to promising outcomes.
Encadré 11

Terra Promessa - Pratique prometteuse 1

En 2006, la police polonaise et italienne a démantelé un réseau de trafiquants d'hommes à des fins de travail forcé de Pologne vers l'Italie. Environ 600 hommes auraient été recrutés au moyen d'annonces dans les journaux et sur Internet et contraints de "s'endetter" par des frais de transport et de logement. Les hommes étaient gardés dans des baraquements et surveillés par des gardes armés, ils étaient forcés de travailler jusqu'à 15 heures par jour pour environ 1 euro de l'heure, bien qu'on leur ait offert entre 5 et 6 euros de l'heure. Une enquête parallèle a été menée par les polices italienne et polonaise, avec l'assistance d'INTERPOL et d'Europol. L'opération a été coordonnée par une unité spéciale de gendarmerie italienne située à Rome et par l'Unité centrale de lutte contre la traite des êtres humains, située au siège de la Police nationale à Varsovie. INTERPOL et Europol ont contribué à l'échange d'informations. L'opération, intitulée "Terra Promessa", a été réalisée sur le lieu de destination en Italie et dans les régions d'origine en Pologne. Des arrestations de personnes impliquées dans le réseau de traite (pour commerce d'êtres humains, privation de liberté, usage de la force physique et menaces) ont été effectuées en Italie et en Pologne. La police des deux pays a également collaboré à la collecte d'informations et de preuves en vue de l'arrestation définitive des trafiquants et de la libération des victimes de la traite.

ONUDC, Boîte à outils pour lutter contre la traite des personnes, Chapitre 5 : Application des lois et poursuites (2008)
Encadré 12

FADO - Pratique prometteuse 2

The European image archiving system called "False and Authentic Documents" (FADO) makes possible the speedy verification of documents and fast, comprehensive notification of relevant law enforcement or immigration authorities in other participating States when misuse of a document or a fraudulent document is detected.

ONUDC, Boîte à outils pour lutter contre la traite des personnes, Chapitre 5 : Application des lois et poursuites (2008)

Outre les services chargés de l'application de la loi des États, il existe plusieurs organisations internationales chargées de faciliter la coopération policière et judiciaire internationale, telles qu'INTERPOL, Europol, Afripoland Eurojust (voir aussi le Module 3). Ces entités régionales sont autorisées à conclure des accords de coopération avec des pays individuels pour autant que ces derniers respectent les mêmes normes de protection, notamment en matière de sécurité du traitement des données et de protection des données personnelles.

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