Bien qu’il n’y ait aucune définition universellement reconnue de la corruption, celle-ci a été décrite en termes génériques comme étant l’utilisation d’une fonction publique à des fins de profit personnel, ou l’abus des pouvoirs confiés à des fins privées. Elle subvertit les procédures gouvernementales légitimes, gaspille l’argent public et mine la confiance du public envers le gouvernement. La corruption soutient l’existence continue de la criminalité organisée, car les agents publics corrompus protègent les groupes criminels organisés des forces de l’ordre et de perturbations (Rose-Ackerman et Palikfa, 2016 ; Rowe, Akman, Smith et Tomison, 2013 ; Transparency International, 2017 ; White, 2013).
Il est difficile de maintenir la rentabilité d’une entreprise criminelle continue et d’assurer sa survie à long terme à moins qu’il existe un moyen de la protéger contre les agents des services de détection et de répression, qui finissent par être informés de son existence. Par exemple, le passage des frontières doit être assuré, les lieux d’activités illicites « protégés », les policiers et les douaniers payés, les fonds illicites livrés et déposés, les poursuites judiciaires « réglées », les biens volés achetés et vendus, et les politiciens persuadés de ne pas intervenir. Ce sont là des exemples des types d’activités de corruptions dont les groupes criminels organisés ont besoin pour rester dans le commerce illicite et se livrer à des activités criminelles continues sans interruption.
L’article 8 de la Convention contre la criminalité organisée traite de l’incrimination de la corruption dans le secteur public. L’article 8(1) exige l’établissement de deux infractions liées à la corruption : la corruption active et la corruption passive. En vertu de l’article 8(1)(a) les États parties sont tenus d’incriminer le « fait de promettre, d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu (…), afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles ». « Directement ou indirectement » signifie que l’avantage indu est destiné à l’agent lui-même ou à une autre personne ou entité.
En vertu de l’article 8(1)(b), les États parties sont tenus d’incriminer le « fait pour un agent public de solliciter ou d’accepter, directement ou indirectement, un avantage indu (…) afin d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles ». Cette infraction est la version passive de l’infraction visée à l’article 8(1)(a). Les éléments requis sont la demande ou l’acceptation du pot-de-vin.
Dans les deux dispositions relatives à la corruption active et à la corruption passive, la sanction est déterminée par la nature et la gravité de l’acte en question. L’« avantage indu » requis pour la corruption peut être de nature pécuniaire ou non pécuniaire ; il peut aussi être matériel ou immatériel. Par conséquent, un avantage indu peut être, par exemple, une somme d’argent, un prêt, des parts dans une société́, des vacances, de la nourriture et des boissons, ou une promotion, remise à un agent public afin que celui‐ci agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exercice de ses fonctions officielles. L’intention délictuelle est généralement établie par les circonstances de l’affaire en déterminant si l’avantage indu est fait ou reçu à des fins illégales.
La question de la corruption impliquant des fonctionnaires d’autres pays (« agents publics étrangers ») et des fonctionnaires internationaux est traitée à l’article 8(2) de la Convention contre la criminalité organisée, qui exige que les États envisagent sérieusement l’introduction d’une telle infraction.
La corruption fait également l’objet d’une Convention distincte, la Convention des Nations Unies contre la corruption (ci-après dénommée « Convention contre la corruption ») qui est entrée en vigueur en 2005. Il s’agit d’un instrument normatif exhaustif et du seul instrument universel juridiquement contraignant de lutte contre la corruption. Elle traite d’un large éventail de questions telles que la prévention de la corruption, l’incrimination et la détection et la répression, la coopération internationale et, pour la première fois dans une convention internationale, le recouvrement d’avoirs.
Même si bon nombre des dispositions de la Convention contre la criminalité́ organisée décrivent en termes identiques différentes infractions (voir par exemple l’article 8 de la Convention contre la criminalité́ organisée et l’article 15 de la Convention contre la corruption), il reste des différences importantes. Ainsi, la définition du terme « agent public » est plus large dans la Convention contre la corruption (voir art. 2(a)) que dans la Convention contre la criminalité́ organisée. En outre, l’incrimination de la corruption d’agents publics étrangers et de fonctionnaires d’organisations internationales publiques est impérative en vertu de la Convention contre la corruption, alors qu’elle ne l’est pas en vertu de la Convention contre la criminalité́ organisée.
La Convention contre la corruption comprend un ensemble complet de dispositions d’incrimination, à la fois contraignantes et facultatives, couvrant un large éventail d’actes de corruption. En outre, elle offre une plateforme non seulement pour l’harmonisation des dispositions nationales de fond, mais aussi pour garantir un niveau minimum de dissuasion par le biais de dispositions spécifiques sur les poursuites judiciaires, le jugement et les sanctions dans les cas de corruption.
Les États parties à cette Convention sont tenus d’ériger en d’infraction pénale :
En outre, les États parties sont également tenus d’envisager l’incrimination de :
L’insertion de dispositions facultatives sur l’incrimination a été jugée nécessaire en raison du fait que certaines infractions pénales peuvent déjà avoir été prévues dans le droit interne de certains pays, ou qu’ils peuvent juger utile de les établir pour lutter contre la corruption, mais d’autres pays ne seraient pas en mesure d’en faire autant souvent en raison d’obstacles constitutionnels. De plus amples information sur la Convention contre la corruption sont données dans le Module 14 ainsi que dans la série de modules sur la lutte contre la corruption.
Conférer le caractère d'infraction pénale à l’enrichissement illicite : des implications pour les droits de l'homme ? Souvent, la seule preuve tangible qu’une infraction a été commise est l’argent qui change de mains entre le fonctionnaire corrompu et sa ou son complice, l’enrichissement du fonctionnaire corrompu devient donc la manifestation la plus visible de la corruption. De nombreux États ont créé l’infraction d’enrichissement illicite en vue de renforcer leur capacité à lutter contre la corruption des agents publics et de récupérer les actifs. Partant de l’idée que la richesse inexpliquée d’un agent public peut, en réalité, être le produit visible de la corruption, l’enrichissement illicite a été identifié comme une infraction facultative à l’article 20 de la Convention contre la corruption et défini comme une « augmentation substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes ». Les droits de l’homme et les arguments d’ordre constitutionnel surgissent souvent dans les discussions autour de l’incrimination de l’enrichissement illicite. Une question cruciale faisant l’objet d’un débat continu concerne la perception du renversement de la charge de la preuve. L’article 20 soutient que l’augmentation significative des actifs qui équivaut à l’infraction d’enrichissement illicite est une augmentation qu’un agent public ne peut raisonnablement expliquer. Ce renversement perçu de la charge de la preuve dans une affaire pénale est considéré par certains comme une violation potentielle des droits fondamentaux de l’homme qui protègent le prévenu/l’accusé, en particulier la présomption d'innocence – qui oblige l’État à prouver la culpabilité d’une personne mise en cause et la décharge du fardeau de prouver son innocence – et les droits connexes de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer. Cette critique a par exemple été formulée à l’encontre de l’État du Sénégal dans l’affaire Ministère public contre Karim Meïssa Wade, dans laquelle ce dernier était poursuivi pour des faits présumés d’enrichissement illicite. De nombreux pays ont refusé d’apporter leur concours dans le cadre des demandes d’entraide judiciaire que leur avait adressées le Sénégal, au motif que ladite inculpation équivalait à un renversement de la charge de la preuve ce qui avait pour conséquence d’exonérer l’État de son obligation de rapporter la preuve de l’implication de la personne mise en cause. Toutefois, il convient de noter qu’il n’y a pas de présomption de culpabilité en pareils cas et que la charge de la preuve incombe toujours au ministère public, car il doit démontrer que l’enrichissement est supérieur aux revenus légitimes de l’intéressé. Elle peut donc être considérée comme une présomption réfutable (c’est-à-dire, une hypothèse de fait acceptée par le tribunal jusqu’à ce qu’elle soit démentie par la preuve). Dans ce cas, le prévenu/l’accusé peut alors fournir une explication raisonnable ou crédible. |
Les groupes criminels organisés utilisent toutes les formes de corruption pour infiltrer les milieux politiques, économiques et sociaux partout dans le monde. Par la corruption, les groupes criminels engendrent la pauvreté, car la corruption détermine la mauvaise utilisation des ressources publiques en les détournant de secteurs d’importance vitale comme la santé, l’éducation et le développement. Par conséquent, la prévention de la corruption et des enquêtes dans tous les secteurs sont nécessaires pour réduire la capacité des groupes criminels organisés à survivre et à faire des profits, et pour qu’une société puisse atteindre un développement durable.