Les réponses nationales au trafic illicite et à la traite d'enfants devraient adopter une approche fondée sur les droits de l'homme et axée sur la protection, sur la base du cadre international décrit dans la section précédente. Cette approche s'ajoute et complète les approches conçues pour prévenir et poursuivre le trafic illicite et la traite des personnes (qui sont examinées dans les autres Modules 3, 4, 7, 9 et 10 de la présente Série Universitaire). Il existe une grande quantité de documents guidant les États sur la manière de protéger les enfants dans la pratique, y compris ceux qui font l'objet d'un trafic illicite et d'une traite. Il s'agit, entre autres:
Une sélection de ces documents est présentée dans cette section.
Bien qu'il existe de nombreuses facettes de la protection de l'enfance, un examen complet de ce sujet dépasse la portée du présent Module. On trouvera ci-après un aperçu des six questions principales qui se rapportent à la traite et au trafic illicite d'enfants. Il s'agit notamment de l'identification et de l'évaluation de l'âge, de l'évaluation et de la détermination de l'intérêt supérieur, de la tutelle, des systèmes de protection de l'enfance, des enfants dans les procédures pénales et des solutions durables
Les procédures d'identification font partie intégrante de toute réponse nationale à la traite et au trafic illicite d'enfants. Lorsque les systèmes d'identification sont inadéquats, les besoins particuliers et les vulnérabilités des enfants peuvent ne pas être pris en compte. Une identification incorrecte, par exemple lorsqu'un enfant victime de traite est mal identifié en tant que migrant faisant l'objet d'un trafic illicite, peut signifier qu'un enfant est incapable d'accéder aux droits et protections auxquels il aurait autrement droit. Un enfant qui pourrait être victime de traite devrait être présumé comme tel jusqu'à ce qu'une décision appropriée soit prise (Gallagher 2010, pp. 325-326).
Pour les enfants, un élément important de l'identification est l'évaluation de l'âge. Les enfants qui sont mal identifiés en tant qu'adultes se verront refuser le niveau de protection supplémentaire qui leur est dû. En règle générale, seuls les enfants dont l'âge est incertain devraient faire l'objet d'une évaluation de l'âge et, en cas de doute quant à l'âge d'un enfant, il devrait y avoir présomption qu'il soit un enfant. Il est important de noter que les procédures doivent être holistiques et ne pas inclure de méthodes médicales invasives ou inexactes. Les tests de développement osseux, les examens dentaires et les évaluations radiologiques ont été largement critiqués par les experts comme étant inexacts et contraires à l'intérêt supérieur de l'enfant (voir Noll 2016). Les directives du HCR, de l'UNICEF et du Comité International de Secours (2017, p. 11-12) mentionnent les bonnes pratiques suivantes pour l'identification et l'évaluation de l'âge :
Tous les enfants faisant l'objet de trafic illicite et de traite ont droit à ce que leur intérêt supérieur soit pris en compte en tant que considération primordiale (voir la section consacrée à l'intérêt supérieur dans ce Module). Les États devraient mettre en œuvre le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant par le biais d'Évaluation de l'intérêt supérieur l'enfant (BIA) et de la Détermination de l'intérêt supérieur de l’enfant (DIS). La prise en compte de la possibilité pour les enfants d'exprimer leur capacité d'action, de leur maturité et de leur degré de participation est fondamentale pour chaque processus, conformément à l'article 12(1) de la Convention relative aux droits de l'enfant. Les BIA devraient être entrepris dès qu'un enfant a été identifié et devraient comprendre une évaluation de la relation entre l'enfant et les adultes qui l'accompagnent, des sources de soutien disponibles pour l'enfant et d'une identification des risques auxquels il est exposé. La BIA établit un équilibre entre différentes considérations relatives à un enfant, en tenant compte de toutes ses circonstances, et mettant l'accent sur ses besoins en matière de soins de santé, de services sociaux et d'éducation (Bhabha et Dottridge 2017, p. 10).
Les DIS servent à déterminer officiellement la voie à suivre pour assurer l'avenir d'un enfant, sur la base d'un examen attentif de tous les facteurs pertinents et des opinions de l'enfant. Contrairement aux BIA, une DIS exige des garanties procédurales plus strictes compte tenu de la gravité et de l'impact durable des décisions prises au cours d'une telle détermination.
La plupart des enfants faisant l'objet de traite et de nombreux enfants faisant l'objet de trafic illicite ne sont pas accompagnés de leurs parents ou de leurs tuteurs légaux ou en sont séparés. Dans ces cas, une réponse holistique fondée sur la protection de ces enfants doit inclure la nomination d'un tuteur pour garantir et défendre leur intérêt supérieur, conformément aux articles 18(2) et 20(1) de la Convention relative aux Droits de l'Enfant. Le Comité des Droits de l'Enfant des Nations Unies (2005, p. 12) décrit le rôle du tuteur.
Le tuteur devrait être consulté et informé de toutes les mesures prises à l'égard de l'enfant. Le tuteur devrait avoir le pouvoir d'être présent dans tous les processus de planification et de prise de décision, y compris les audiences en matière d'immigration et d'appel, les dispositions relatives aux soins et tous les efforts visant à trouver une solution durable. Le tuteur ou le conseiller devrait posséder les compétences nécessaires dans le domaine de la protection de l'enfance, afin de garantir que les intérêts de l'enfant soient sauvegardés et que les besoins juridiques, sociaux, sanitaires, psychologiques, matériels et éducatifs de l'enfant soient couverts de manière appropriée, notamment, par le tuteur servant de lien entre l'enfant et les organismes ou particuliers existants spécialisés assurant le suivi nécessaire requis par l'enfant. Les organismes ou particuliers dont les intérêts pourraient éventuellement être en conflit avec ceux de l'enfant ne devraient pas être admissibles à la tutelle. Par exemple, les adultes non apparentés dont la relation principale avec l'enfant est celle d'un employeur devraient être exclus du rôle de tuteur.
L'aiguillage des enfants vers un système de protection de l'enfance, fondé sur un cadre juridique complet et comprenant des structures formelles et informelles, est essentiel pour les protéger contre toute négligence, exploitation ou violence potentielle. Comme le soulignent Bhabha et Dottridge (2017, p. 13), " l'une des principales obligations du système de protection de l'enfance pour les enfants réfugiés et migrants est de favoriser l'unité ou le regroupement familial lorsque cela est dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et de fournir des systèmes sûrs de d'aiguillage, quel que soit leur statut migratoire (ou celui de leur famille), vers les services, informations, aides et protection appropriés. Le cas échéant, le système devrait également aider ces enfants à faire des choix sûrs et respectueux de leurs droits d'eux-mêmes. En outre, l'ONUDC (2017, p. 5) déclare que " le travail d'aide sociale visant à fournir une assistance et un suivi aux enfants qui se trouvent dans des situations particulièrement vulnérables sur les routes migratoires et à destination, incluant ceux non accompagnés, peut aider à identifier et prévenir rapidement tout autre danger ". Les enfants devraient être en mesure d'exprimer librement leur opinion sur les décisions prises en matière de soins, de leurs droits et des services disponibles, ce qui devrait être considéré dans une certaine mesure comme déterminant de l'âge et de la maturité de l'enfant (UNICEF 2006).
Dans le cadre de la protection de l'enfance, les besoins fondamentaux des enfants doivent être satisfaits, conformément aux droits que leur confère la Convention relative aux Droits de l'Enfant (voir ci-dessus). Cela inclut l'accès à un logement approprié, aux services de santé et à l'éducation. L'accès aux soins de santé devrait être holistique et inclure des soins psychosociaux, en notant que les enfants faisant l'objet de trafic illicite et de traite peuvent souffrir de stress ou de traumatisme, qui peuvent avoir des effets négatifs sur leur développement et provoquer des dépression et autres problèmes de comportement pendant toute une vie. Lorsque les enfants sont impliqués dans des procédures judiciaires (par exemple concernant le renvoi, l'imposition de la détention ou les demandes d'asile), ils devraient avoir accès à une représentation légale gratuite (voir King 2013 pour une discussion dans le contexte international et Américain).
Tout obstacle juridique ou pratique à l'accès des enfants aux services de base doit être levé. Un problème particulier se posera lorsque les enfants n'ont pas le statut juridique ou les papiers requis pour y avoir accès. Il est également important d'établir des pare-feu entre les services publics et les services d'application de la loi en matière d'immigration, afin que les enfants sans papiers n'aient pas peur d'accéder aux services ou de signaler des violations des droits humains. Le Secrétaire Général des Nations Unies (2014) a encouragé les États " à mettre en place des garde-fous et des pare-feu efficaces entre les prestataires de services publics et les autorités chargées de l'immigration ". Les institutions de la fonction publique ne devraient pas être tenues de communiquer des données aux autorités de l'immigration ou de les partager d'une autre manière ".
Les enfants peuvent être invités à prendre part à des procédures pénales contre leurs trafiquants ou passeurs. Dans ce cas, les États doivent être conscients des risques que cette participation peut présenter pour les enfants. Cela inclut notamment des traumatismes causés par le récit de leurs expériences et leur vulnérabilité à l'ingérence ou aux menaces de l'accusé, y compris à l'encontre des familles des enfants. L'intérêt supérieur de l'enfant devrait être un principe directeur lorsque les enfants agissent en tant que témoins, de même que les opinions de l'enfant lui-même. Les autorités compétentes doivent déterminer comment la nature et l'étendue de la participation d'un enfant correspondent le mieux à ses besoins de protection et à ses intérêts (Gallagher 2010, p. 333). Pour de plus amples informations, veuillez également consulter le Module 13 sur la Justice pour Enfants de la Série de Modules Universitaires sur la Prévention du Crime et la Justice Pénale.
Les Guides législatifs (ONUDC 2004, par. 65(b)) du Protocole contre la Traite des Personnes fournissent des orientations sur ce point :
“Veiller à ce que, pendant les enquêtes, les poursuites et les audiences, les contacts directs entre l'enfant victime et l'auteur présumé de l'infraction soient évités dans la mesure du possible. Sauf si cela va à l'encontre de l'intérêt supérieur de l'enfant, l'enfant victime a le droit d'être pleinement informé des questions de sécurité et des procédures pénales avant de décider de témoigner ou non dans une procédure pénale. Au cours des procédures judiciaires, le droit des enfants témoins à des garanties juridiques et à une protection efficace doit être fortement souligné. Les enfants qui acceptent de témoigner devraient bénéficier de mesures de protection spéciales pour assurer leur sécurité”.
Dans de tels cas, les enfants doivent bénéficier des garanties adaptées à leurs besoins conçues, au niveau international, pour les enfants témoins et victimes d'actes criminels. Les Lignes Directrices en matière de Justice dans les Affaires impliquant les Enfants Victimes et Témoins d'Actes Criminels (les Lignes Directrices), adoptées par le Conseil économique et social (ECOSOC) dans sa résolution 2005/20, fournissent des orientations officielles sur ces questions. Ces directives jouent un rôle important en aidant les États Membres à apporter des réponses efficaces et justes aux enfants victimes, qui protègent les droits des enfants conformément à la Convention relative aux Droits de l'Enfant. Plus précisément, les Lignes directrices énoncent de bonnes pratiques concernant le droit des enfants d'être traités avec dignité et compassion, le droit d'être protégés contre la discrimination, le droit d'être informés, le droit d'être entendus et d'exprimer leurs opinions et préoccupations, le droit à une assistance efficace, le droit à la vie privée, le droit d'être protégés des épreuves durant le processus judiciaire, le droit à la sureté et à la réparation, et le droit aux mesures préventives spéciales. D'autres conseils sur la mise en œuvre des Lignes Directrices au niveau national sont présentés dans le Manuel à l'intention des Professionnels et des Décideurs en matière de Justice dans les affaires impliquant des enfants victimes et témoins d'actes criminels. Ce manuel présente les bonnes pratiques relatives à la prévention de la traite des enfants et les réponses sensibles de la justice aux victimes, y compris : le droit des enfants à la vie privée ; le recours automatique à des audiences à huis clos dans les affaires de traite des enfants ; l'importance de prévenir l'intimidation des enfants victimes de la traite ; et l'importance de la formation spécialisée du personnel judiciaire pénal.
La préoccupation ultime des États doit être de trouver pour les enfants des solutions durables et fondées sur les droits de l'enfant. Cela sera particulièrement important pour les enfants non accompagnés ou séparés. Une solution durable peut prendre plusieurs formes : regroupement familial, retour dans le pays d'origine, intégration locale, adoption et réinstallation dans un pays tiers. Quelle que soit la solution retenue, elle doit respecter les droits de l'enfant, tenir compte de son opinion, répondre à ses besoins de protection et servir son intérêt supérieur.
Lorsqu'une solution durable pour les mineurs non accompagnés implique un séjour de longue durée dans un État, celui-ci doit être fondé sur un statut juridique sûr. Les non-ressortissants sans statut juridique sûr peuvent se voir refuser l'accès aux services de base dans l'État où ils se trouvent ou risquent d'être détenus ou renvoyés. Un statut temporaire peut être considéré comme incompatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant, ce qui fait que les mineurs vivent dans un " état d'incertitude forcé " (Pobjoy 2017, p. 226).
Le retour dans le pays d'origine peut présenter des risques particuliers pour les enfants. Conformément aux observations du Comité des Droits de l'Enfant des Nations Unies (2005, p. 24), il n'est appropriée que lorsqu'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant et qu'il n'existe aucun risque raisonnable qu'un tel retour "entraîne une violation des droits fondamentaux de l'enfant, et en particulier, si le principe de non-refoulement est applicable".
La loi italienne "Zampa" (du nom de Sandra Zampa, membre du Parlement italien), promulguée en 2017, fournit un exemple de cadre juridique couvrant à la fois les enfants faisant l'objet de trafic illicite et de la traite des personnes. La législation, intitulée (en français) "Dispositions relatives aux mesures de protection des mineurs étrangers non accompagnés"[lien vers la législation italienne], concerne la protection des mineurs non accompagnés qui arrivent en Italie. Save the Children a salué la loi comme étant "le système de protection de l'enfance le plus élaboré d'Europe", tandis que l'UNICEF affirme que c'est un modèle pour les autres pays de l'UE.
La législation contient des dispositions garantissant aux mineurs étrangers non accompagnés les mêmes droits qu'aux enfants italiens, et intègre le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Bien que la législation ne soit pas parfaite et qu'il existe des difficultés de mise en œuvre, elle constitue à bien des égards une évolution positive et un exemple pour les autres États.
Pour plus d'informations sur la loi, voir :
Les lois sud-africaines reflètent bon nombre des droits énoncés dans le droit international. Sa Constitution (Loi Constitutionnelle de la République d'Afrique du Sud de 1996) accorde des droits à tous les enfants présents dans le pays. L'article 28 stipule que l'intérêt supérieur de l'enfant est d'une "importance primordiale" dans tous les cas, comprenant également le droit à la santé, à l'éducation, aux services sociaux et à une représentation légale. D'autres mesures de protection pour les enfants, y compris ceux faisant l'objet d'un trafic illicite ou d'une traite, sont énoncées dans la Loi sud-africaine de 2005 sur l'enfance qui est très complète. La Haute Cour du pays a statué que les citoyens, les étrangers et les étrangers en situation irrégulière devraient être traités sur un pied d'égalité en vertu de la Loi (dans sa décision Centre pour la Loi de L’Enfance et autre v Ministre des Affaires Intérieures et autres [2005] 6 SA 50 (Division Provinciale du Transvaal).
La Loi sur l'Enfance prévoit des procédures pour les enfants non accompagnés et des règles pour leur placement sous protection de remplacement. Elle oblige les travailleurs sociaux à enquêter sur les besoins de ces enfants, à savoir leur âge, s'ils ont ou non fait une demande d'asile, et si le regroupement familial est viable. Les règlements de la Loi exigent que les enfants reçoivent une nutrition adéquate, des vêtements, encourageant "le respect et la protection contre l'exploitation et la négligence", "des soins et une intervention qui respectent, protègent et favorisent leur héritage culturel, religieux, [et] linguistique" et un accès aux "activités communautaires". En vertu de la loi sud-africaine, les enfants ne devraient pas non plus être détenus.
Lorsque des enfants sont victimes de la traite, ils bénéficient d'une protection supplémentaire en vertu de la Loi sud-africaine de 2013 sur la Prévention et la Lutte Contre la Traite des Personnes. Entre autres choses, en vertu du paragraphe 31(1), les enfants victimes ne peuvent être renvoyés d'Afrique du Sud que si cela est dans leur intérêt supérieur, s'il existe des dispositions appropriées en matière de soins dans le pays de retour et si leur sécurité est assurée.
Bien qu'il existe des problèmes concernant la mise en œuvre des lois susmentionnées, le cadre juridique sud-africain constitue, à bien des égards, une approche exemplaire en matière de protection de l'enfance.