De tous les produits illicites faisant l’objet de trafic par la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants est le plus (tristement) célèbre et a fait l’objet d’une attention systématique au cours de ces dernières décennies. Il existe trois conventions internationales relatives au contrôle des drogues qui réglementent diverses activités liées aux drogues telles que la production, la distribution et la possession de substances contrôlées, à des fins médicales et scientifiques. La Convention unique sur les stupéfiants de 1961, telle que modifiée par le Protocole de 1972, a fusionné des traités multilatéraux préexistants et cherché à rationaliser le contrôle en créant l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) qui a remplacé les organismes de supervision préexistants. Le but de la Convention était d’assurer l’approvisionnement adéquat de stupéfiants à des fins médicales ou scientifiques tout en prévenant leur détournement vers le marché illicite et les abus. Elle exerce un contrôle sur plus de 130 stupéfiants (OICS, 2020).
La Convention de 1971 sur les substances psychotropes a élargi le système international de contrôle des drogues à certaines substances psychotropes telles que les hallucinogènes, les stimulants du système nerveux central, ainsi qu’à des sédatifs-hypnotiques tels que le LSD, les amphétamines et les barbituriques. Enfin, la Convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes a élargi le régime de contrôle aux substances fréquemment utilisées dans la fabrication illicite de drogues réglementées (appelées précurseurs) et se focalise sur le problème croissant du trafic transnational tout en renforçant le cadre de coopération internationale en matière pénale, y compris l’extradition et l’entraide judiciaire.
Ces trois conventions jouissent d’un large soutien mondial et, par conséquent, reflètent et promeuvent un consensus et une coopération international contre le trafic illicite. Le contrôle international des drogues étant depuis longtemps une priorité, en 1946 le Conseil économique et social a mis en place la Commission des stupéfiants (CND, pour son sigle en anglais), l’organe décisionnel central des Nations Unies pour les questions liées aux drogues. La Commission continue à se réunir chaque année pour discuter de questions liées au contrôle international des drogues et de stratégies communes (Assemblée générale de Nations unies, 2016). À titre d’exemple, la Commission décide si de nouvelles substances devraient être incluses dans l’un des tableaux annexés aux trois conventions sur le contrôle des drogues et s’il y a des déplacements ou des suppressions dans les tableaux et annexes.
Au cours des dernières décennies, un effort mondial concerté a été entrepris pour traquer la production de drogues illicites, le trafic de drogue ainsi que des interventions des gouvernements sur les marchés de drogues illicites. Les données disponibles sur la culture et les saisies de drogues contrôlées et sur les tendances de l’utilisation de drogues donnent donc un aperçu utile de l’ampleur du trafic de drogue ces dernières années (ONUDC (c), 2017 ; ONUDC (b), 2019).
Bien que les drogues continuent de représenter une source majeure de revenus pour les groupes criminels organisés, les modèles économiques évoluent. Les criminels exploitent les nouvelles technologies et les nouveaux réseaux, tels que le darknet (un réseau virtuel crypté), qui modifient la nature du commerce de drogues illicites et les types d’acteurs impliqués (ONUDC (c), 2017). À titre d’exemple, il a été découvert que les groupes criminels organisés opérant dans des réseaux virtuels ont tendance à avoir des liens plus lâches et à être organisés en structures horizontales (par opposition aux structures verticales ou hiérarchiques). Des études ont également souligné que les groupes plus petits sont devenus plus importants. En outre, moins de groupes se consacrent exclusivement au trafic de drogue puisqu’un nombre considérable d’entre eux opèrent aussi dans d’autres secteurs illicites. Ces dernières années, les organismes de détection et de répression ont infiltré et fermé toute une série de marchés de la drogue opérant sur le darknet (tels que Alphabay, Hansa, Wall Street Market, etc.) qui, comme le montrent les sondages en ligne, a donné lieu à un déclin potentiel dans la proportion des utilisateurs achetant des drogues sur le darknet en 2018, notamment en Amérique du Nord, en Océanie et en Amérique latine (ONUDC (b), 2019).
Le Rapport mondial sur les drogues de 2019 estime qu’en 2017 plus d’un quart de milliard de personnes ont consommé de la drogue au moins une fois au cours de l’année précédente. De manière générale, la consommation de drogue a augmenté de 30% entre 2009 et 2017 – passant de 210 millions à 271 millions -, en partie en raison de la croissance démographique mondiale, avec une plus grande prévalence au fil du temps de l’utilisation d’opioïdes en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique du Nord, et de l’utilisation de cannabis en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Asie. Outre les substances traditionnelles à base de plantes telles que le cannabis, la cocaïne et l’héroïne, le marché dynamique des substances synthétiques s’est considérablement développé en même temps que l’utilisation non médicale de médicaments délivrés sous ordonnance.
Concernant l’offre en drogues, le même rapport de l’ONUDC souligne que le cannabis reste la drogue la plus largement produite dans le monde et que ce marché subit une transition et une diversification dans les pays qui autorisent l’usage non médical du cannabis. La culture globale du cocaïer a connu une nette tendance à la hausse entre 2013 et 2017, avec une augmentation de plus de 100%. Selon les estimations, la production illicite de cocaïne dans le monde a atteint un niveau record de 1 976 tonnes en 2017. La même année, environ 70% des zones de culture du cocaïer était situées en Colombie, 20% au Pérou et 10% dans l’État plurinational de Bolivie. Dans le même temps, la quantité mondiale de cocaïne saisie en 2017 a augmenté de 13% par rapport à l’année précédente, ce qui a contribué à garder l’offre de cocaïne sous surveillance même si la consommation de cocaïne est en hausse en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest et centrale. 2018 a assisté au déclin de la production d’opium, principalement en raison d’une sécheresse en Afghanistan qui était encore une fois de très loin le pays où se faisait une grande majorité de la culture illicite de pavot à opium et de la production d’opium cette année-là. En outre, les prix de l’opium ont rapidement chuté dans le pays entre 2016 et 2018, probablement en raison d’une surproduction au cours des années précédentes rendant ainsi la culture de pavot moins lucrative pour les agriculteurs. Toutefois, la superficie cultivée aujourd’hui est plus de 60 fois plus grande qu’il y a 10 ans, et la superficie estimée des cultures en Afghanistan pour 2018 est la deuxième plus grande jamais enregistrée.
Durant ces dernières années, des quantités importantes de drogues ont été saisies par les organismes d’application de la loi en Afrique (ONUDC (d), 2018 ; ONUDC (b), 2019). Les quantités de cocaïne saisies en Afrique ont doublé́ en 2016. En particulier et contrairement aux années précédentes où les principales saisies de cocaïne avaient eu lieu en Afrique de l’Ouest et centrale, les saisies de cocaïne ont été́ multipliées par six dans les pays d’Afrique du Nord où elles représentaient 69 % du total des saisies de cocaïne enregistrées dans le continent en 2016 (ONUDC (d), 2018). Ce phénomène s’explique par l’intensification du trafic de cocaïne à destination des marchés émergents et par la hausse de la consommation dans ces régions (ONUDC (d), 2018). Cette hausse de la consommation aggrave une situation déjà̀ difficile en matière de santé publique et menace le développement socioéconomique des régions concernées. Bien que le trafic de drogue et la criminalité́ transnationale organisée menacent la paix, la sécurité́, l’état de droit et le développement dans de nombreuses régions du monde, plusieurs pays d’Afrique sont particulièrement vulnérables en raison de problèmes complexes et interdépendants, liés notamment à l’instabilité́ politique, à la porosité́ des frontières et à l’immensité́ de la région (Conseil de Sécurité des Nations unies, 2013).
En ce qui concerne le marché mondial des drogues synthétiques, il est généralement plus complexe à étudier pour un certain nombre de raisons. D’abord et avant tout, les informations sur la fabrication des drogues synthétiques sont plus limitées que celles disponibles pour les drogues à base de plantes (cocaïne, opiacés et cannabis) et cela est largement dû au fait que les drogues synthétiques peuvent être fabriquées n’importe où, car le processus n’implique pas l’extraction des composants actifs d’une plante qui a besoin d’être cultivée dans certaines conditions pour pouvoir pousser. Les défis de la traque de la production de drogues synthétiques empêchent une estimation exacte du volume du marché mondial correspondant. Néanmoins, des données sur les saisies de drogues synthétiques et la consommation de drogues suggèrent que l’offre de drogues synthétiques est en pleine expansion. En 2017, l’Asie du Sud-Est est devenue le marché de méthamphétamines à la croissance la plus rapide au monde, tandis que la crise des overdoses d’opioïdes synthétiques en Amérique du Nord atteignait des sommets avec plus de 47 000 morts par overdose d’opioïdes enregistrées aux États-Unis. Ces overdoses d’opioïdes étaient largement attribuées aux substances telles que le fentanyl et des substances analogues. Pendant ce temps, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale et l’Afrique du Nord sont actuellement en train d’expérimenter une crise du tramadol, un autre opioïde synthétique qui a été utilisé en tant qu’antidouleur pendant des décennies (voir encadré ci-dessous) (ONUDC (b), 2019).
Des données récentes montrent que le nombre de nouvelles substances psychoactives (NSP) qui sont des opioïdes synthétiques, principalement les substances analogues au fentanyl, signalées sur le marché augmente à un rythme sans précédent. Alors que l’on relevait une seule substance de ce type en 2009, on en dénombrait 15 en 2015 et 46 en 2017 ; le nombre global de NSP présentes sur le marché́ s’étant quant à lui stabilisé autour de 500 substances par an au cours de la période 2015-2017 (ONUDC (a), 2017 ; ONUDC (b), 2019). Les NSP sont ces « substances faisant l’objet abus, sous leur forme pure ou sous forme de préparation » qui ne sont pas contrôlées par les Conventions de 1961 ou de 1971 « mais pouvant représenter une menace pour la santé publique » (ONUDC (c), 2018). Le terme « nouvelles » ne renvoie pas nécessairement au fait que ce sont de nouvelles inventions (plusieurs NSP ont en effet été synthétisées pour la première fois il y a 40 ans) mais signifie que ces substances sont devenues récemment disponibles sur le marché. Les NSP n’étant pas contrôlées par les conventions internationales sur le contrôle des drogues, leur statut juridique peut largement différer d’un pays à un autre. De nombreux pays ont mis en œuvre des réponses juridiques nationales pour contrôler certaines NSP et certains ont adopté des contrôles sur des groupes entiers de NSP non explicitement ni individuellement listées dans la législation, en utilisant une approche générique de « similitude chimique » à une substance déjà réglementée par la législation nationale.
Le tramadol : une substance qui menace le continent africain Le tramadol, un opioïde de synthèse utilisé dans le traitement de la douleur modérée à sévère, a fait l’objet d’une préoccupante utilisation non médicale et d’un important trafic illicite dans plusieurs pays africains (ONUDC (b), 2019). Le tramadol est considéré par les utilisateurs récréatifs comme un moyen de stimuler l'énergie et d'améliorer l'humeur. Cependant, le tramadol peut entraîner une dépendance physique : des études de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont montré que lorsque le tramadol est utilisé quotidiennement, la dépendance peut s'installer même après quelques semaines. Selon le Rapport mondial sur les drogues de 2018 de l’ONUDC, dans les pays d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique du Nord et du Proche et Moyen-Orient, le tramadol est la principale substance utilisée par les personnes qui consomment des opioïdes pharmaceutiques à des fins non médicales (ONUDC (d), 2018). D’après le peu d’informations disponibles sur l’offre de tramadol destiné à un usage non médical, cette substance serait fabriquée (illicitement) en Asie du Sud et acheminée clandestinement vers des pays d’Afrique et certaines parties du Moyen-Orient (ONUDC (b), 2019). Plusieurs raisons expliquent l’attrait de cette substance pour les populations. Tout d’abord, son prix relativement modique comparé aux autres drogues en fait une drogue très accessible. En outre, son acquisition est facilitée par la prolifération dans plusieurs pays africains de pharmacies illégales ayant pignon sur rue en violation de la réglementation en vigueur. Enfin, cet antidouleur annihile toute peur du danger et est considéré comme capable d’augmenter la résistance à l’effort et aux épreuves physiques. Dès lors, les usagers sont convaincus que son usage est bénéfique. |
Les recherches sur le trafic de drogue au niveau international ont révélé que la faiblesse des capacités d’application de la loi et la corruption sont déterminantes pour maintenir la résistance du marché illicite. Il a été constaté que la corruption suit toute la chaîne d’approvisionnement en drogues, depuis la production et le trafic jusqu’à la distribution, et qu’elle affecte une grande diversité d’institutions telles que les équipes d’éradication, les organismes de détection et de répression, le système de justice pénale ainsi que le secteur de la santé – par exemple, quand les usagers peuvent obtenir des drogues auprès de médecins et de pharmaciens corrompus (ONUDC (c), 2017).
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont souligné la manière dont la corruption enracine la pauvreté en décourageant les investissements étrangers et en augmentant l’inégalité des revenus qui, à son tour, est connue pour encourager la consommation de drogues et alimenter davantage la corruption et l’instabilité (Groupe de la Banque mondiale, 2017). En outre, de récents rapports associent au commerce de la drogue un certain nombre de groupes terroristes tels que les Talibans, de mouvements d’insurgés et des groupes armés non-étatiques (ONUDC (c), 2017).
Suivre la piste de l’argent issu du marché de la drogue s’est avéré être l’une des approches les plus efficaces de la lutte contre le trafic de drogue. Le trafic de drogue est motivé par les profits et, l’identification des flux associés à ces profits ainsi que des circuits d’investissement et de blanchiment d’argent peut constituer une contre-attaque efficace (Soudijin, 2016 ; ONUDC (c), 2017). Le renforcement de la coopération internationale dans la prévention et la lutte contre le blanchiment d’argent contribue aussi à réduire ou à éliminer les potentielles conséquences économiques et sociales négatives des activités illicites.