Le Protocole contre la traite des personnes, qui complète la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (CNUCTO), est le principal instrument juridique relatif à la traite des personnes. Il a été adopté par l’Assemblée générale en vertu de la résolution 55/25 du 15 Novembre 2000 et est entré en vigueur le 25 Décembre 2003.
Le Protocole contient un préambule et 30 articles. Le préambule reconnaît que “malgré l’existence de divers instruments internationaux qui renferment des règles et des dispositions pratiques visant à lutter contre l’exploitation des personnes, en particulier des femmes et des enfants, il n’y a aucun instrument universel qui porte sur tous les aspects de la traite des personnes ”. Le préambule déclare également que “l’action efficace visant à prévenir et combattre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, exige de la part des pays d’origine, de transit et de destination une approche globale et internationale comprenant des mesures destinées à prévenir une telle traite, à punir les trafiquants et à protéger les victimes de cette traite, notamment en faisant respecter leurs droits fondamentaux internationalement reconnus ”.
Les objectifs du Protocole sont établis à l’article 2 :
Le Protocole contre la traite des personnes complète la CNUCTO (voir le Module 1 sur la définition de la criminalité organisée). Par conséquent, comme le prévoit l’article 1 du Protocole, les deux documents devraient être interprétés et appliqués conjointement. Les dispositions suivantes de la de la CNUCTO concernent directement l’application du Protocole :
Le cas illustré dans l’encadré 2 montre le rôle de la corruption dans une affaire de traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle.
M. était une jeune fille mineure de Moldavie qui avait été victime de la traite des personnes dans les Balkans où elle était retenue dans une maison close et sexuellement exploitée, jusqu’à ce qu’elle soit secourue par un groupe d’action contre la traite des personnes qui opérait avec l’assistance de la communauté internationale. L’infraction de traite commis contre M. aurait apparemment été facilitée par des actes de corruption dans trois différents pays.
En premier lieu, des passeports vierges auraient apparemment été obtenus au moyen de la corruption d’un pays voisin des Balkans par ses trafiquants et auraient été utilisés pour la transférer vers le lieu où elle était sexuellement exploitée.
Puis, en dépit du fait que les passeports étaient remplis de manière incorrecte et manifestement inexacte, avec un timbre officiel erroné et d’autres erreurs grossières, et bien que M. ne parle aucune des langues locales des lieux où elle était exploitée, elle avait franchi plusieurs frontières sans qu’aucune question ne soit posée, apparemment grâce à une facilitation obtenue au moyen de la corruption.
Enfin, la maison close où M. était exploitée était située de l’autre côté de la rue où se trouvait le commissariat local. Aucune enquête n’avait été menée; certains officiers de police auraient obtenu des services sexuels de M. et d’autres victimes de la traite.
M. a été libérée grâce à une enquête au niveau national menée avec un soutien international, sans la participation des autorités locales.
Avant l’adoption du Protocole contre la traite des personnes en 2000, d’autres déclarations et conventions internationales abordaient certains aspects de la traite. Plusieurs d’entre elles sont encore pertinentes aujourd’hui. Elles contribuent à établir une riposte globale à la traite des personnes et complètent les exigences du Protocole. Elles sont énumérées ci-après.
Toutefois ces instruments internationaux se distinguent du Protocole contre la traite des personnes de la manière suivante :
L’Article 34(1) de la CNUCTO demande aux États parties de prendre toutes les mesures nécessaires (y compris des mesures législatives et administratives) pour garantir l’exécution de leurs obligations en conformité avec la Convention. L’Article 34(2) demande aux États parties de promulguer des lois en conformité avec leur législation nationale qui incriminent les activités visées aux articles 5, 6, 8 et 23 de la Convention“indépendamment de leur nature transnationale ou de l’implication d’un groupe criminel organisé ”.
L’Article 4 du Protocole stipule que “le Protocole s’applique, sauf disposition contraire, à la prévention, aux enquêtes et aux poursuites concernant les infractions établies conformément à son article 6, lorsque ces infractions sont de nature transnationale et qu’un groupe criminel organisé y est impliqué, ainsi qu’à la protection des droits des victimes de ces infractions ”.
La définition de la traite dans le Protocole a été adoptée dans les lois nationales de nombreux pays. Certaines difficultés relatives à l’interprétation de certains aspects de la définition ont toutefois persisté (par exemple, l’interaction entre l’utilisation de “moyens” interdits et le consentement de la victime comme moyen potentiel de défense, et la signification de “à des fins d’exploitation ” et de “abus d’une situation de vulnérabilité ”). Les États doivent en priorité traiter et résoudre ces questions dans leur législation et leur jurisprudence car cela caractérise certaines conduites de la traite qui ont des conséquences importantes pour les victimes et pour les auteurs de l’infraction. Certains soutiennent une interprétation restrictive ou conservatrice du concept de la traite alors que d’autres préconisent l’expansion de ce concept. Ceux qui soutiennent une interprétation restrictive sont préoccupés par le fait qu’une définition trop large pourrait inclure des pratiques qui n’atteignent pas le seuil d’infraction grave de la “traite des personnes ”, et ceux qui soutiennent l’opinion contraire pensent qu’une définition trop étroite pourrait éviter des enquêtes, des poursuites et des condamnations pour des pratiques qui devraient tomber sous le coup de la définition de traite des personnes, ou qui pourraient exclure totalement ces pratiques (ONUDC, 2014).
Non seulement la CNUCTO, mais également le Protocole contre la traite des personnes et la législation nationale ainsi que quelques initiatives régionales ont été conçus pour incriminer la traite des personnes. Par exemple en 2005 le Conseil de l’Europe a adopté la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. L’Article 39 aborde les relations entre cette Convention et le Protocole. Il déclare que la Convention ne porte pas atteinte aux droits et obligations des États découlant des dispositions du Protocole, mais a pour but de renforcer la protection instaurée par le Protocole et de développer les normes qu’il énonce. La Convention de l’ASEAN sur la lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants de 2015 et la Convention de la SAARC sur la prévention et l’élimination de la traite des femmes et des enfants aux fins de prostitution de 2002 fournissent un cadre juridique régional en Asie.
Dans les régions où il n’existe aucun instrument juridique régional spécifique relatif à la traite des personnes, il est possible de se reporter à d’autres documents. Dans la région arabe, la Loi type arabe contre la traite des êtres humains, et la Stratégie arabe contre la traite des êtres humains ont été adoptées en 2012. En Afrique, plusieurs plans d’action assortis d’échéances ont été adoptés ces dernières années, comme le plan d’action de Ouagadougou visant à combattre la traite des êtres humains (2006) destiné à prévenir et combattre la traite des personnes entre l’Union européenne et l’Union africaine, ou le Plan d’action de la CEDEAO contre la traite des personnes, particulièrement les femmes et les enfants (2002) ou le Plan d’action stratégique de la CDAA contre la traite des personnes, particulièrement les femmes et les enfants (2009).
De nombreuses directives et principes internationaux reconnus, bien que non contraignants, aident à interpréter le Protocole et guident la mise en œuvre de mesures visant à lutter contre la traite et à protéger les personnes qui en sont les victimes. Par exemple en 2003 le Haut-commissariat aux droits de l’Homme a publié les Directives et principes recommandés concernant les droits de l’Homme et la traite des êtres humains, qui demandent aux États “d’adopter des mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale à la traite aux faits caractérisant la traite et aux conduites liées à la traite” conformément aux règles stipulées dans le Protocole. Les directives et les principes recommandés stipulent que “l’absence de loi spécialement consacrée ou adaptée à la traite à l’échelon national est l’un des principaux obstacles à la lutte menée dans ce domaine. Il importe d’harmoniser dans les meilleurs délais les définitions juridiques, les procédures et la coopération au niveau national et régional en respectant les normes internationales”. Une multitude de politiques, de directives et de manuels ont été publiés par diverses entités internationales (ONUDC, IOM, UNICEF, UNHCR, OSCE), par des initiatives régionales comme le processus de Bali ainsi que par de nombreuses organisations non-gouvernementales.
Comme indiqué précédemment, l’article 3(a) du Protocole contre la traite des personnes définit la traite comme suit:
L'expression ‘traite de personnes’ désigne le recrutement, le transport, le transfert, l‘hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d 'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, au par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d'avantage pour obtenir Ie consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. L 'exploitation comprend, au minimum, I' exploitation de la prostitution d 'autrui ou d 'autres formes d 'exploitation sexuelle, le travail ou les services forces, I' esclavage ou les pratiques analogues, I' esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes.
Même si l’article 5 du Protocole exige que chaque état promulgue une loi nationale incriminant la conduite décrite à l’article 3, cette législation devra reproduire mot pour mot le texte du Protocole mais devra être adaptée, en conformité avec le système juridique national afin de donner effet aux concepts contenus dans le Protocole.
Il y a lieu de souligner les aspects suivants de la définition à l’article 3 :
L’opération Golf a commencé au Royaume Uni en 2005 lorsque des officiers ont commencé à observer une augmentation spectaculaire d’infractions mineures dans le centre de Londres, tels que des larcins, des vols à la tire et de la délinquance urbaine. L’une des principales constatations fut que la majorité de ces infractions étaient commises par des enfants roms d’à peine 6 ans. Au Royaume Uni aucun enfant de moins de 10 ans ne peut être poursuivi. La police constata que lorsqu’ils étaient arrêtés les enfants roms de plus de 10 ans prétendaient être plus jeunes, et fournissaient de faux noms et de faux documents. Lorsque les enfants étaient amenés, les officiers ne pouvaient pas localiser leurs parents afin qu’ils se présentent et viennent les récupérer. Dans 60% des cas où des enfants étaient arrêtés, la personne qui venait les représenter n’était pas un membre de la famille sous le prétexte que les parents ne savaient pas parler anglais, qu’ils étaient retournés en Roumanie pour un enterrement, etc... Le Royaume Uni a commencé à travailler avec la Roumanie pour identifier le problème. Il y avait déjà une enquête en cours sur 1000 enfants qui avaient disparu d’une seule ville en 2005-2006. Les officiers roumains avaient déjà déterminé les personnes impliquées dans ces disparitions mais ils ne savaient pas où étaient partis les enfants. 1017 enfants “perdus” figuraient sur une liste en Roumanie, intitulée “enfants au sujet desquels la Roumanie craint qu’ils n’aient été victimes de la traite de personnes ”. Lorsque les officiers du Royaume Uni commencèrent à examiner le cas plus en détails, ils se rendirent compte qu’en 2007, 200 enfants qui se trouvaient sur la liste avaient été signalés comme des auteurs d’infractions pénales au Royaume Uni. A la suite de cette découverte, la police de Londres a commencé à enquêter sur la possibilité qu’ils aient été victimes d’une traite de personnes. Les conclusions de ces enquêtes furent surprenantes. Des parents roms désespérés avaient apparemment “donné” leurs enfants à des criminels qui leur avaient offert d’emmener leurs enfants à l’étranger. Les délinquants leur avaient dit que leurs enfants gagneraient beaucoup d’argent à l’étranger et pourraient ainsi leur envoyer de l’argent. Ils ne dirent pas aux parents que leurs enfants devraient mendier et voler, mais dans la culture rom ceci ne soulève pas nécessairement d’objection majeure. Les parents devaient toutefois payer les criminels pour que ceux-ci les emmènent avec eux, comme ils n’étaient évidemment pas en mesure de payer ils tombèrent dans la servitude pour dette, avec des intérêts élevés. Après un certain temps, les délinquants retournaient voir les parents et leur disaient que leur enfant ne gagnait pas suffisamment. Ils emmenaient alors d’autres enfants qui n’étaient pas forcément placés avec leurs frères et sœurs à l’étranger. Des prêts supplémentaires devaient alors être convenus. Les délinquants revenaient encore avec le même message jusqu’à ce que la famille complète, y compris les parents, soit placée à l’étranger et devienne une “famille esclave”, incapable de payer ses dettes aux délinquants. Tous les enfants étaient séparés, forcés à mendier et à voler, et étaient dépouillés de tout leur argent. Les plus âgés étaient obligés d’aller mendier, de voler et de s’occuper de nombreux enfants dont les parents étaient encore en Roumanie ou avaient été emmenés ailleurs. De plus, les criminels organisés présentaient des demandes frauduleuses d’aide sociale et s’appropriaient de ces revenus. La police découvrit que les criminels impliqués dans ces lucratives opérations étaient des membres des clans roms, dont certains étaient des groupes organisés indépendants. Ces clans étaient dotés d’une structure hiérarchique basée sur la famille et sur le clan, avec des chefs de familles qui géraient ces affaires depuis leurs gigantesques demeures en Roumanie. Parfois, lorsque cela était nécessaire et profitable, les clans travaillaient ensemble, et comme les affaires étaient florissantes les groupes gagnaient des membres et des territoires. Le 1er Septembre 2008, une équipe commune d’enquête (ECE) entre la Roumanie, le Royaume Uni, Eurojust et Europol a été formée pour combattre ces clans et sauver les enfants de l’exploitation.