Ce module est une ressource pour les enseignants

 

Le genre et les différents types d’infractions relevant de la criminalité organisée

 

La criminalité organisée revêt de nombreuses formes et manifestations. Quelles sont les dimensions et les considérations de genre lorsqu’il s’agit de certaines des formes de criminalité organisées les plus couramment discutées : le trafic de stupéfiants, le trafic illicite de migrants et migrants et la traite des personnes ? Certaines des formes et manifestations de la criminalité organisée moins explorées, comme le trafic illicite d’espèces de faune et de flore sauvages, la cybercriminalité et le trafic illicite de biens culturels, peuvent-elles avoir une dimension de genre ? Nous examinons ci-dessous comment le recours à une perspective de genre peut nous aider à mieux comprendre les expériences sexospécifiques des hommes et des femmes qui sont accusés d’infractions relevant de ces formes de criminalité.

 

La traite des personnes

La traite des personnes est principalement représentée comme une infraction affectant les femmes – en particulier, les jeunes femmes étrangères. On a également tendance à assimiler la traite des personnes à la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Une recherche rapide en ligne sur ce terme révèlera des milliers de pages web, de films, de vidéos, de livres et un vaste corpus de littérature officielle et universitaire et de documentation parallèle décrivant des exemples d’exploitation à des fins sexuelles endurées par les femmes et les jeunes filles.

Et pourtant, en tant que consommateurs d’information avertis et amateurs de criminalité organisée, nous devons être critiques à l’égard de ces caractérisations. Premièrement, nous devons identifier comment ils caractérisent le genre. La traite des personnes ne touche pas uniquement les femmes. En outre, elle implique un vaste éventail de formes d’exploitation, pas seulement l’exploitation à des fins sexuelles. De nombreuses victimes de traite sont des hommes travaillant dans des industries autres que le sexe, comme l’agriculture ou le bâtiment (Zhang, 2012). Des données récentes indiquent que plus de la moitié des victimes de traite à des fins de travail forcé sont des hommes, tandis que la majorité des victimes détectées de traite à des fins d’exploitation sexuelle sont des femmes (ONUDC (a), 2018). Quant aux autres formes d’exploitation, la traite à des fins de prélèvement d’organes reste très limitée en termes de nombre de victimes détectées. Une centaine de victimes de traite à des fins de prélèvement d’organes ont été détectées et signalées à l’ONUDC au cours de la période 2014-2017. Toutes étaient des adultes et deux tiers d’entre elles étaient des hommes. Si la plupart des victimes détectées dans le monde font l’objet d’une traite à des fins d’exploitation sexuelle, ce schéma n’est pas uniforme dans toutes les régions du monde. La traite à des fins de travail forcé est la forme la plus fréquemment détectée en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient, tandis qu’en Asie centrale et du Sud, la traite à des fins de travail forcée et à des fins d’exploitation sexuelle sont détectée de manière quasi équivalente. Une approche intersectionnelle peut nous guider dans la découverte de la façon dont les hommes et les femmes rencontrent et gèrent ces conditions d’exploitation par le travail, les types de travaux qui sont les plus susceptibles de conduire à l’exploitation (ONUDC (a), 2018).

L’examen critique des représentations de la criminalité peut également nous aider à voir comment elles encadrent ou stéréotypent les hommes et les femmes d’autres régions du monde. Par exemple, il existe un nombre abondant de rapports sur les affaires impliquant des femmes du Sud qui sont victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle. Si la traite à des fins d’exploitation sexuelle touche effectivement les hommes et les femmes, les stéréotypes concernant les femmes les dépeignent souvent comme désinhibées sexuellement et/ou ouvertement sensuelles. Elles peuvent également être décrites comme étant naïves, incapables de prendre leurs propres décisions ou faciles à tromper. Les femmes nigérianes, par exemple, ont souvent été le sujet de rapports et documentaires sur la traite à des fins d’exploitation sexuelle qui les représentent comme des femmes crédules et ignorantes qui sont sous le contrôle de leurs ravisseurs, qui leur ont jeté des sorts (juju), rendant ainsi les femmes terrifiées de s’échapper des situations d’exploitation ou d’abus.

L’expérience des femmes nigérianes impliquées dans la prostitution

Sine Plambech, une chercheuse danoise, a mené des recherches approfondies parmi les femmes migrantes originaires du Nigéria, documentant leurs expériences de la migration et de la prostitution. Les travaux de Plambech démontrent que l’endettement, les pressions familiales, les opportunités limitées d’emploi et d’éducation combinés au désir personnel de voyager vers d’autres destinations et/ou pays, plutôt que la sorcellerie, sont à l’origine des décisions de ces femmes de commencer et de rester dans la prostitution (EASO, 2015).

Les chiffres officiels confirment également la nécessité de démystifier les stéréotypes sur le rôle des femmes dans la criminalité organisée. Une analyse du sexe de ceux signalés comme ayant fait l’objet d’une enquête ou d’une arrestation, de poursuites judiciaires et/ou d’une condamnation pour des infractions de traite des personnes montre que la majorité des trafiquants continuent à être des hommes. Néanmoins, en 2016, plus de 35% des personnes poursuivies en justice pour des infractions de traite des personnes (sur un total de 6 370 personnes) et 38% des personnes condamnées (sur un total de 1 565 personnes) étaient des femmes.

Schéma 15.1. Traite des personnes, profil des auteurs/auteures
Part des personnes poursuivies en justice pour traite des personnes, par sexe, 2016(ou plus récent)
Part des personnes condamnées pour traite des personnes, par sexe, 2016 (ou plus récent)
Source : UNODC (a), 2018

Selon les données disponibles sur la criminalité, l’implication des femmes dans la traite des personnes est plus élevée que pour d’autres types de criminalité (ONUDC (a), 2018). En effet, selon l’Enquête des Nations Unies sur les tendances de la criminalité et le fonctionnement des systèmes de justice pénale (2006-2009), la part moyenne des femmes auteures d’infractions signalée pour tous les types de criminalité est d’environ 12% (des condamnations) (tel que cité dans le Rapport mondial sur la traite des personnes de l’ONUDC, 2012).

Pour une analyse approfondie sur la traite des personnes et le genre, voir le Module 13 sur les dimensions de genre dans le trafic illicite de migrants et la traite des personnes de la série de modules de l’ONUDC sur la traite des personnes et le trafic illicite de migrants.

 

Le trafic illicite de migrants

Dans les récits contemporains sur la migration, les passeurs occupent une place particulière. Ils sont décrits comme des hommes noirs africains, musulmans ou latino-américains qui exploitent la vulnérabilité des migrants. Les descriptions médiatiques les tiennent souvent pour responsable à eux seuls de la mort et de la disparition des migrants en transit ou de l’agression sexuelle des femmes.

Il est vrai que la majorité des personnes poursuivies en justice pour trafic illicite de migrants sont des hommes. Aux États-Unis, et selon les chiffres de la Commission des peines des États-Unis (US Sentencing Commission), les hommes représentent environ 70% des personnes condamnées au niveau fédéral pour trafic illicite de migrants (Commission des peines des États-Unis, 2017). Ce seul chiffre suggère néanmoins que le reste des personnes condamnées – soit approximativement 30% - sont des femmes. Un examen plus approfondi de ces chiffres montre également que la plupart des personnes condamnées pour cette infraction sont des résidents de la zone frontalière entre les États-Unis et le Mexique où les communautés ont tendance à avoir parmi les niveaux de pauvreté les plus élevés des États-Unis.

Lorsque nous désagrégeons les données officielles en termes de genre et de lieu de résidence nous pouvons obtenir une image plus riche des personnes derrière le trafic illicite de migrants et des défis qu’elles peuvent rencontrer. Victoria Stone-Cadena et Soledad Alvarez-Velasco (2018), par exemple, ont constaté que les peuples autochtones quichuas de l’Équateur font souvent partie de ceux qui travaillent comme facilitateurs du trafic. Leur participation au marché découle d’une longue histoire de migration : en raison de la discrimination, de nombreux autochtones n’étaient pas autorisés à accéder aux marchés où ils pouvaient vendre et/ou échanger leurs biens ; en outre, ils avaient aussi des droits limités sur la terre. Cette situation les a amenés à opter de plus en plus pour la migration à l’étranger – principalement vers les États-Unis – et, ce faisant, à se familiariser avec les routes et mécanismes du trafic.

Non seulement nous constatons en Équateur un marché où les populations autochtones– plutôt que des réseaux transnationaux organisés – facilitent et/ou coordonnent des activités du trafic. On constate également que le trafic illicite de migrants est assez genré : les tâches sont réparties principalement selon les frontières traditionnelles du genre. Les femmes fournissent le gîte et le couvert aux migrants en transit et prennent soins de ceux qui se sont blessés ou sont tombés malades durant leurs voyages, tandis que les hommes guident les groupes à travers des zones éloignées ou isolées, surveillent les migrants et les conduisent aux postes de contrôle (Sanchez, 2016). Des recherches menées par DHIA – une organisation de défense des droits de l’homme à Ciudad Juarez au Mexique (2017) –, par l’Organisation mondiale pour les migrations à Alexandrie en Égypte (2015) et par Antje Missbach et Wayne Palmer en Indonésie (2016), ont également identifié comment les hommes adolescents sont assez actifs sur les marchés du trafic. Si bon nombre de ces jeunes hommes deviennent impliqués dans la facilitation du trafic illicite de migrants pour payer leurs propres voyages migratoires, pour beaucoup d’autres la participation au trafic est un moyen de remplir les rôles de genre qu’ils n’ont pas pu exercer, considérant le manque d’options professionnelles et éducatives dans leurs communautés (Sanchez, 2018). Bon nombre de ces jeunes enfants déclarent que leur participation au trafic leur permet de subvenir aux besoins financiers de leurs familles et d’être reconnus comme chefs de famille et, ce faisant, d’accéder à des rôles sociaux réservés essentiellement aux hommes.

Cette répartition des tâches selon les rôles de genre a également pour conséquence que les femmes sont plus susceptibles d’être condamnées pour le passage clandestin d’amis et de membres de leur famille. Des données du Portail de gestion des connaissances SHERLOC de l’ONUDC indiquent que les affaires de trafic illicite de migrants avec des opérations en réseau sont moins fréquentes lorsqu’on les compare aux efforts individuels à petite échelle de facilitation du trafic illicite de migrants. Si les hommes sont plus susceptibles d’être impliqués dans les premières, les femmes le plus souvent facilitent le trafic illicite d’un petit nombre de migrants, y compris leurs propres enfants et/ou des membres de leurs familles (Sanchez, 2018). Dans ce contexte, il convient de rappeler que le Protocole sur le trafic illicite de migrants – l’un des trois protocoles se rapportant à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et le principal instrument juridiquement contraignant dans ce domaine – identifie clairement comme un élément constitutif de l’infraction de trafic illicite de migrants l’obtention, directement ou indirectement, d’un avantage financier ou autre avantage matériel (voir ONUDC, 2017). Comme le précise la note interprétative de cette définition, la référence à « un avantage financier ou autre avantage matériel » a été introduite « afin de souligner que l’intention était d’inclure les activités menées par les groupes criminels organisés pour en tirer un profit mais d’exclure les activités des personnes apportant une aide aux migrants pour des motifs humanitaires ou en raison de liens familiaux étroits. L’intention n’était pas, dans le Protocole, d’incriminer les activités de membres des familles ou de groupes de soutien tels que les organisations religieuses ou non gouvernementales » (ONUDC, 2006). Cependant, certains États dans le monde n’ont pas introduit l’élément d’ « avantage financier ou autre avantage matériel » dans leur législation nationale et poursuivent en justice des hommes et des femmes pour des infractions de trafic illicite de migrants également dans ces cas. Dans ces circonstances, les femmes peuvent être inculpées pour des infractions de trafic (illicite de migrants) pour avoir fourni le gîte et le couvert à leurs enfants, maris ou conjoints, ou pour avoir aidé des personnes avec lesquelles elles entretiennent des relations de longue date à quitter des pays en proie à des conflits ou à la violence.

Il n’existe aucune analyse statistique sur le trafic illicite de migrants de la même ampleur que celles auxquelles nous avons accès sur la traite des personnes. Néanmoins, l’ONUDC a publié en 2018 la première Étude mondiale sur le trafic illicite de migrants qui présente quelques estimations du nombre mondial de migrants ayant fait l’objet d’un trafic illicite et offre une désagrégation limitée des données en fonction du sexe et de l’âge. L’étude montre que la majorité des migrants ayant fait l’objet d’un trafic illicite sont des hommes relativement jeunes. Cela ne veut pas dire que les femmes et les enfants ne font pas l’objet d’un trafic illicite ou ne s’y livrent pas. Sur certains itinéraires, notamment dans certaines régions d’Asie du Sud-Est, les femmes représentent une part importante des migrants ayant fait l’objet d’un trafic illicite. Beaucoup de flux de migrants clandestins comprennent également des enfants non accompagnés ou séparés qui peuvent être particulièrement vulnérables à la tromperie et aux abus par les passeurs et d’autres personnes. Les enfants non accompagnés ou séparés ont été particulièrement détectés le long des routes méditerranéennes vers l’Europe et des routes terrestres en direction de l’Amérique du Nord (ONUDC (b), 2018). Pour une analyse approfondie sur le sujet du trafic illicite de migrants et du genre, voir le Module 13 sur les dimensions de genre dans le trafic illicite de migrants et la traite des personnes de la série de modules de l’ONUDC sur la traite des personnes et le trafic illicite de migrants.

 

Le trafic de drogue

« Lorsque la plupart des gens de se représentent le commerce illicite de la drogue – les trafiquants, les gangs, les barons – ils se représentent un monde composé d’hommes. Mais les drogues et la criminalité liée à la drogue affectent les femmes de manière unique. Il est essentiel de comprendre comment les femmes s’inscrivent dans cette dynamique pour que les politiques en matière de drogue soient les bonnes », déclarent Kasia Malinowska et Olga Rychkova dans leur étude sur l’impact des politiques en matière de drogue sur les femmes (2015).

Le récit sur le trafic de stupéfiants tend à se concentrer sur l’histoire de trafiquants et/ou de dealers de drogue très médiatisés. D’ailleurs, certains de ces trafiquants très médiatisés sont des femmes. En parallèle, il est important de noter que l’économie du trafic de drogue ne dépend pas uniquement de la direction du groupe. En réalité, elle repose sur une quantité considérable de travail physique qui est souvent effectué par des femmes et des enfants. Dans certains cas, les femmes participent au marché car elles ont peu d’autres opportunités d’emploi dans leurs communautés.

L’expérience des « cocaleras » en Colombie

Par exemple, DeJusticia, un groupe de réflexion en Colombie, travaille avec des « cocaleras » (c’est-à-dire, des femmes qui cueillent les feuilles de coca à partir desquelles la cocaïne est extraite), afin de documenter leurs expériences. Les recherches de DeJusticia (2018) ont montré que le revenu des femmes provenant de la cueillette du coca fait partie des plus faibles du pays, ne dépassant souvent même pas le salaire minimum. Et pourtant, les femmes investissent souvent dans la construction des écoles, dans la réparation des routes rurales ou dans la sécurisation de l’eau pour leurs communautés. En raison de la guerre en Colombie et de l’omniprésence du sexisme, les femmes sont également confrontées à la discrimination et au harcèlement. Nombre d’entre elles ont été victimes de violences interpersonnelles, d’agressions sexuelles et d’autres formes de violences liées au genre. Ce sont des sujets qui ne sont généralement pas abordés dans la manière dont nous parlons de la criminalité organisée. Pour en savoir plus sur l’expérience des « cocaleras », consultez l’étude de cas « La place que les femmes cultivatrices de coca méritent » dans la section des exercices.

Dans le monde entier, le nombre de femmes incarcérées pour leur participation au trafic de drogue est en augmentation. Alors que nous embellissons ou idéalisons souvent les expériences des femmes avec le trafic de drogue et avons tendance à expliquer leur implication par des relations romantiques avec des hommes, les raisons pour entrer et rester dans le trafic de drogue sont plutôt complexes. Non seulement les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’avoir un accès limité aux opportunités d’emploi et d’éducation, elles font également plus souvent partie des personnes confrontées à la précarité financière, dans ce que nous appelons la féminisation de la pauvreté (voir la définition dans le glossaire). En outre, comme nous l’avons vu précédemment, les rôles que les femmes exercent le plus souvent sont généralement des tâches à haut risque et à faible revenu qui les rendent souvent également vulnérables à la détection par les services de détection et de répression et par conséquent, à l’entrée dans le système de justice pénale.

Par conséquent, si le nombre absolu d’hommes en détention pour trafic de drogue est élevé, la proportion de personnes en prison pour des condamnations liées au trafic de drogue est plus élevée chez les femmes.

Les données du Rapport mondial de 2018 de l’ONUDC sur les drogues soulignent ces tendances (voir le schéma 15.2).

Schéma 15.2. Les hommes et les femmes en prison pour des infractions liées à la drogue

Source : UNODC, 2018

Incarcération des femmes dans les Amériques pour des infractions liées à la drogue

Selon un rapport de l’Organisation des États américains, les femmes dans les Amériques sont incarcérées en nombre alarmant pour des infractions liées à la drogue avec les taux d’incarcération les plus élevés du monde, avec l’Asie. Si le nombre d’hommes incarcérés est plus important, l’incarcération des femmes augmente plus rapidement. En Argentine, au Brésil, au Costa Rica et au Pérou, plus de 60% des femmes détenues sont derrière les barreaux pour des infractions liées à la drogue (OEA, 2016).

Il ne s’agit pas de suggérer que les expériences des hommes ne comptent pas ou qu’ils ne courent pas de risques à être impliqués dans la criminalité organisée. Comme nous l’avons vu, les hommes – en particulier les jeunes gens et les adolescents des secteurs à faibles revenus – ont tendance à faire partie de ceux qui sont touchés de manière disproportionnée par la violence liée à la criminalité organisée. Ils tendent également à être la cible principale des actions de l’État contre la criminalité, telles que le maintien de l’ordre et la surveillance.

Analyser la mort et la disparition de jeunes hommes en Argentine

Les travaux de Natalia Bermudez (2016) ont montré comment les efforts de lutte contre la criminalité ont impacté les jeunes hommes issus des secteurs populaires à travers l’Argentine. Chacun de ces décès et disparitions de jeunes hommes de la classe ouvrière impliqués dans le trafic de drogue que Bermudez a documenté était en effet lié à leur implication dans la criminalité organisée. Pourtant, la violence qui a conduit à leurs décès n’était pas uniquement liée aux luttes entre les groupes ou organisations rivaux, mais également aux réponses policières. Beaucoup des jeunes hommes de son étude ont été tués par les forces de police. Comme le montrent les travaux de Bermudez, le maintien de l’ordre et la sécurité ont aussi tendance à avoir des implications genrées. En somme, le maintien de l’ordre et l’incrimination intensifient souvent la violence et la ségrégation qui touchent les secteurs les plus démunis économiquement de la société, où les femmes et les enfants sont surreprésentés. Comme l’indique Guerra dans ses travaux sur l’implication des jeunes hommes dans le trafic de drogue sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique, ces communautés appauvries sont devenues des acteurs jetables de la criminalité organisée (Guerra, 2015).

 

Le trafic illicite des espèces de faune et de flore sauvages

Malgré les preuves anecdotiques que les rôles des acteurs du commerce d’espèces de faune et de flore sauvages sont très différenciés en matière de genre, il semble que la recherche, les politiques et les programmes relatifs à ce type de criminalité accordent très peu d’attention au genre. En particulier, le genre de ceux qui produisent, commercent et consomment les biens trafiqués n’est pratiquement jamais mentionné dans les discussions sur la manière de lutter contre ce type de criminalité. Une exception notable est le travail de Pamela McElwee (2012) qui s’est concentré sur les dimensions de genre dans la criminalité ayant une incidence sur l’environnement au Vietnam et qui pointe du doigt les traditions et/ou les attentes sociales fondées sur le genre qui empêchent souvent les femmes de s’impliquer dans le trafic illicite d’espèces de faune et de flore sauvages. Selon McElwee, les femmes – en raison de la tradition ou des rôles genrés – sont souvent empêchées de chasser ou de collecter des animaux ou des plantes spécifiques, incapables de s’éloigner de leurs foyers pendant de longues périodes, ce qui limite leurs rôles dans le trafic illicite d’espèces de faune et de flore sauvages, mais crée des espaces pour les hommes. McElwee souligne également que les croyances religieuses peuvent empêcher les femmes d’être en contact avec des types spécifiques de faune ou de flore et que certaines activités peuvent être perçues comme trop dangereuses pour que les femmes y prennent part et sont donc réalisées uniquement par les hommes. Ces observations, quoique pertinentes pour comprendre les interactions et les dynamiques dans certains contextes, ne sauraient expliquer l’intégralité du phénomène. Il existe en réalité plusieurs affaires dans lesquelles des femmes ont été inculpées ou reconnues coupables de commerce illégal d’espèces de faune et de flore sauvages. L’exemple le plus notable est peut-être celui de la « Reine de l’ivoire » (ou « Ivory Queen »).

La « Reine de l’ivoire »

Yang Feng Glan (alias la « Reine de l’ivoire », une femme chinoise âgée, n’est peut-être pas l’idée que la plupart des gens se font de la tête d’un réseau de trafic illicite d’ivoire. Néanmoins, les autorités tanzaniennes l’ont arrêtée et accusée d’être à la tête de l’un des plus grands réseaux de contrebande d’ivoire d’Afrique, responsable du trafic illicite des défenses de plus de 350 éléphants d’une valeur de plus 13 milliards de shillings (5.6 millions de dollars américains), quittant illégalement la Tanzanie pour l’Asie. La cellule d’enquête des infractions graves nationales et transnationales de Tanzanie (National and Transnational Serious Crimes Investigation Unit) l’a traquée pendant plus d’un an, et elle a été arrêtée après une course-poursuite en voiture à grande vitesse en octobre 2015. Elle a été inculpée d’infractions s’étalant entre 2000 et 2014 (BBC, 2016). En février 2019, un tribunal de première instance tanzanien a reconnu Yang Feng Glan coupable et l’a condamnée à 15 ans de réclusion criminelle. Elle a été condamnée pour les mêmes chefs d’accusation que deux autres individus considérés comme des éléments clés du réseau de contrebande ; les trois accusés ont interjeté appel de la décision (Tremblay, 2019).

Pour un reportage sur l’histoire de la « Reine de l’ivoire », veuillez regarder cette vidéo de John Ray, correspondant d’ITV News (en anglais).

Un autre élément sous-étudié de cette forme de commerce illicite est celui des consommateurs. Les femmes et les hommes peuvent acheter des produits (illicites) de faune et de flore sauvages pour différentes raisons. Par exemple, les consommateurs masculins peuvent croire que des biens spécifiques peuvent améliorer leur réputation et leur prestige social ou améliorer leurs performances sexuelles (comme par exemple, les os de tigre en Chine) (Torres Cruz et McElwee, 2012). Certaines femmes peuvent acheter certains produits parce qu’ils sont censés améliorer à la fois la qualité et la quantité de lait maternel pour les mères allaitantes (par exemple, les écailles de pangolin). Les femmes et les hommes peuvent également acheter des produits illicites d’espèces de faune et de flore sauvage en raison de leurs propriétés médicinales présumées (par exemple, la corne de rhinocéros serait particulièrement efficace pour les rhumatismes), de leur signification religieuse (par exemple, l’ivoire dans certaines cultures) ou du statut associé à son achat (par exemple, la corne de rhinocéros est chère, peut être difficile à trouver et est considérée comme un cadeau précieux par certains) (USAID, 2017).

Les efforts de lutte contre le trafic qui ne reconnaissent pas les dimensions de genre ou qui ne les intègrent pas dans la compréhension et le développement des stratégies de lutte contre le commerce illégal sont susceptibles d’échouer. La majorité des rapports sur le trafic illicite d’espèces de faune et de flore sauvages se concentre sur la documentation de l’étendue du trafic et/ou sa valeur économique, mais pas sur les raisons sous-jacentes créant la demande pour les biens ou de sa valeur sociale et culturelle. Pour plus d’informations sur la criminalité ayant une incidence sur l’environnement, voir la série de modules de l’ONUDC sur la criminalité liée aux espèces sauvages, aux forêts et à la pêche.

 

La cybercriminalité

La technologie et la prolifération des technologies et services basés sur l’Internet ont conduit à l’émergence de nouvelles formes de criminalité. Il n’est pas rare d’entendre parler de personnes victimes d’escroquerie en ligne, de pirates informatiques s’introduisant dans des systèmes de sécurité complexes ou d’exploitation d’enfants en ligne à des fins sexuelles. De nombreuses activités de trafic et de contrebande sont également menées en ligne, ce qui suscite de profondes inquiétudes chez les autorités. Le cyberespace a également hébergé diverses formes d’infractions informatiques liées au genre (par exemple, les abus sexuels basés sur l’image et la sextorsion) qui sont analysées dans le Module 12 de la série de modules de l’ONUDC sur la cybercriminalité.

La lutte contre la cybercriminalité présente de nombreux défis, l’un d’entre eux étant le fait même qu’elle englobe un vaste éventail d’activités et d’acteurs délictueux, qui, en opérant en ligne, sont plus à même de dissimuler leur identité (ONUDC, 2017). Nos connaissances concernant les personnes à l’origine de la cybercriminalité et leur genre sont à ce sujet limitées et les résultats sont souvent mitigés (voir par exemple le Module 11 de la série de modules de l’ONUDC sur la cybercriminalité concernant le genre dans le piratage numérique). Malgré son ubiquité dans nos vies de tous les jours, la recherche sur la cybercriminalité est encore peu développée, ce qui renforce notre incapacité à comprendre son fonctionnement réel et sa portée.

Malgré quelques exceptions, les femmes ne sont pas au cœur de la majorité des recherches ethnographiques et/ou d’autres formes de recherches empiriques dans ce domaine. Ces exceptions soulignent généralement que la cybercriminalité est principalement menée par des hommes (Hutchings, 2016). Le manque de données fiables n’a pas empêché les médias d’imaginer le monde des cybercriminels. Les femmes tendent à être décrites comme des informaticiennes belles mais socialement maladroites, travaillant de manière isolée, cachées dans un monde dominé par les hommes et tentant de lutter contre les formes plus radicales et néfastes de la criminalité en ligne (Potter, 2016 ; Yver, 2016 ; Rousseau, 2017).

Une explication moins réjouissante concernant les limites des études explorant les rôles des femmes dans la cybercriminalité implique le fait que dans le monde entier, les femmes sont sous-représentées dans les professions relevant des domaines de la science, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (OUS/EA, 2017 ; Microsoft, 2018). Comme nous l’avons vu précédemment avec d’autres formes de criminalité, le manque de visibilité des femmes dans la cybercriminalité peut également être le résultat de valeurs patriarcales qui imprègnent tous les niveaux de la société, y compris les sciences et la technologie. L’invisibilité des femmes dans la cybercriminalité ne découle peut-être pas simplement du fait qu’elles sont cachées, marginales ou peu nombreuses, mais plutôt de croyances sexospécifiques qui ont longtemps tenu les femmes à l’écart des domaines traditionnellement perçus comme masculins. Le manque de femmes dans ce domaine est aussi corrélé au fait qu’elles sont souvent la cible de discriminations, d’harcèlement sexuel et d’environnements de travail hostiles. Le genre est perçu « davantage comme un obstacle que comme un avantage pour la réussite professionnelle » (Funk et Parker, 2018).

Ayant cela à l’esprit, il ne devrait pas être surprenant que les recherches disponibles sur la cybercriminalité saisissent principalement les expériences des hommes. Back, Soor et La Prade (2018) résument les motivations des pirates informatiques telles que décrites dans une partie de la littérature ethnographique sur la cybercriminalité : le désir de manifester un comportement destructeur pour libérer leur colère envers d’autres utilisateurs ou organisations en ligne, d’exhiber leur expertise du cyberespace et de gagner en visibilité, les objectifs politiques, la satisfaction personnelle et le gain financier. La cybercriminalité peut en ce sens permettre aux hommes dans la cybercriminalité de répondre « aux hiérarchies et attentes sociales sexospécifiques, mais également [de] les reproduire et les renforcer » (Miller et Lopez, 2015). Pour plus d’informations sur la cybercriminalité, voir la série de modules de l’ONUDC sur la cybercriminalité.

 

Le trafic illicite des biens culturels

Malgré la prolifération de traités internationaux et leur adoption par un nombre croissant d’États, ainsi que les rapports suggérant que le commerce illicite des biens culturels s’est intensifié au lieu de diminuer (voir la résolution 68/186 de l’Assemblée générale des Nations Unies (2013) ; les résolutions 2199 (2015) et 2347 (2017) du Conseil de sécurité des Nations Unies), les recherches empiriques et les données de qualité dans ce domaine sont rares.

Il ne devrait pas être surprenant que compte tenu de cela, la recherche sur les dimensions de genre dans le trafic illicite des biens culturels soit pratiquement inexistante. Pourtant, certains spécialistes ont établi des connexions entre les conflits violents dans les zones sujettes au trafic et le rôle des femmes dans la protection des vestiges de la culture collective (de Vido, 2015). Cependant, les dommages et les pertes causés par les conflits armés sont également suivis par des efforts de la part des habitants survivants ou restants pour gagner leur vie. Les recherches indiquent que la montée mondiale de cette forme de criminalité organisée est liée à l’effondrement des formes de sécurité parrainées par les États, dont l’absence favorise l’émergence d’acteurs qui peuvent chercher à profiter financièrement ou en nature de la vente du patrimoine matériel comme mécanisme de survie (Yates et Mackenzie, 2018). Certaines des étapes liées à cette forme de trafic n’ont toutefois pas besoin d’être liées à la criminalité organisée. À la place, les décisions individuelles de nature entrepreneuriale et motivées par le besoin semblent être à l’origine d’une partie importante du commerce (Yates, Mackenzie et Smith, 2017 ; Brodie, 2017).

 
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