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Réponses à la TP et au TIM : Le genre est-il pris en compte ? Et si oui, comment ?

On reconnaît l'importance d'inclure une perspective de genre dans les réponses à la traite des personnes (TP). Toutefois, l'accent mis sur les femmes dans les interventions de la TP influe inévitablement sur la façon dont l'intervention de la justice pénale sera mise en œuvre. Les stéréotypes sexistes sont nuisibles tant pour les hommes que pour les femmes, les garçons et les filles.

Les deux protocoles - contre la TP et contre le trafic illicite de migrants (TIM) - exigent des États qu'ils tiennent compte de l'âge, du sexe et des besoins particuliers de la victime dans l'application de leurs mesures de protection et/ou d'assistance.

La portée de la protection et de l'assistance prévue dans le Protocole contre la TP est beaucoup plus large que celle prévue dans le Protocole contre le TIM. En effet, la TP est un crime grave et une violation des droits de l'homme, les personnes victimes de la traite sont donc considérées comme des victimes et ont droit à une série de mesures de protection et d'assistance. Le TIM n'est pas une forme de crime contre les migrants, les migrants faisant l’objet de trafic illicite ne sont pas victimes du TIM, mais ils peuvent néanmoins être victimes d'autres crimes, notamment de violations des droits de l'homme. Dans cette perspective, et compte tenu des risques encourus par les migrants faisant l'objet d'un trafic illicite, le Protocole contre le TIM prévoit également certaines mesures de protection - par exemple en cas de violence (due au TIM). (Référence croisée Module 2 TIM sur la protection des droits de l'homme des migrants faisant l’objet d’un trafic illicite)

Encadré 19

Protocole contre la TP : Article 6 : Assistance et protection accordées aux victimes de la traite des personnes

1. Lorsqu’il y a lieu et dans la mesure où son droit interne le permet, chaque État Partie protège la vie privée et l’identité des victimes de la traite des personnes, notamment en rendant les procédures judiciaires relatives à cette traite non publiques.

2. Chaque État Partie s’assure que son système juridique ou administratif prévoit des mesures permettant de fournir aux victimes de la traite des personnes, lorsqu’il y a lieu:

  • Des informations sur les procédures judiciaires et administratives applicables ;
  • Une assistance pour faire en sorte que leurs avis et préoccupations soient présentés et pris en compte aux stades appropriés de la procédure pénale engagée contre les auteurs d’infractions, d’une manière qui ne porte pas préjudice aux droits de la défense.

3. Chaque État Partie envisage de mettre en œuvre des mesures en vue d’assurer le rétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite des personnes, y compris, s’il y a lieu, en coopération avec les organisations non gouvernementales, d’autres organisations compétentes et d’autres éléments de la société civile et, en particulier, de leur fournir:

  • Un Logement convenable ;
  • Des conseils et des informations, concernant notamment les droits que la loi leurs reconnait, dans une langue qu’elles peuvent comprendre ;
  • Une assistance médicale, psychologique et matérielle ; et
  • Des possibilités d'emploi, d'éducation et de formation.

4. Chaque État Partie tient compte, lorsqu'il applique les dispositions du présent article, de l'âge, du sexe et des besoins spécifiques des victimes de la traite des personnes, en particulier des besoins particuliers des enfants, notamment un logement, une éducation et des soins convenables.

Encadré 20

Protocole contre la SOM : Article 16 Mesures de protection et d'assistance

1. Lorsqu’il applique le présent Protocole, chaque État Partie prend, conformément aux obligations qu’il a contractées en vertu du droit international, toutes les mesures appropriées, y compris, s’il y a lieu, des mesures législatives, pour sauvegarder et protéger les droits des personnes qui ont été l’objet des actes énoncés à l’article 6 du présent Protocole, tels que ces droits leur sont accordés en vertu du droit international applicable, en particulier le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

2. Chaque État Partie prend les mesures appropriées pour accorder aux migrants une protection adéquate contre toute violence pouvant leur être infligée, aussi bien par des personnes que par des groupes, du fait qu’ils ont été l’objet des actes énoncés à l’article 6 du présent Protocole.

3. Chaque État Partie accorde une assistance appropriée aux migrants dont la vie ou la sécurité sont mises en danger par le fait qu’ils ont été l’objet des actes énoncés à l’article 6 du présent Protocole.

4. Lorsqu'ils appliquent les dispositions du présent article, les États parties tiennent compte des besoins particuliers des femmes et des enfants.

Approche sexospécifique dans la réponse à la TP : l'exemple de l'Union européenne

La directive 2011 de l'Union européenne contre la traite des êtres humains (directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes) est considérée comme un texte législatif historique qui intègre une approche sensible au genre (une approche globale fortement axée sur le genre).

Dès le début de la Directive, il est indiqué que toutes les dispositions prennent en considération une perspective de genre, de la prévention de la criminalité à la protection des victimes. Il est reconnu qu'une perspective sexospécifique est nécessaire pour comprendre la TP et agir en conséquence.

Dans le Considérant 3, la directive reconnaît les aspects sexospécifiques de la traite et demande l'inclusion de mesures d'assistance et de soutien spécifiques.

Encadré 21

Directive 2011 de l'Union européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains, Considérant 3

La présente directive reconnaît que la traite des êtres humains comprend une dimension liée à l’égalité entre les sexes et que, dans de nombreux cas, les femmes et les hommes ne sont pas victimes de la traite pour les mêmes raisons. Il convient dès lors que les mesures d’assistance et d’aide soient elles aussi, s’il y a lieu, adaptées à cette dimension liée à l’égalité entre les sexes. Les facteurs qui incitent les personnes à quitter leur pays d’origine et qui les attirent vers leur lieu de destination peuvent varier selon le secteur concerné, par exemple le trafic des êtres humains pour l’industrie du sexe ou aux fins de l’exploitation de main-d’œuvre dans la construction, l’agriculture ou l’esclavage domestique.

La perspective de genre est également inscrite dans le plan d'action de l'Union européenne, la Stratégie de l'Union européenne pour l'Elimination de la traite des êtres humains 2012-2016. Il stipule, dans l'action 2 de la priorité E, que "la Commission développera les connaissances sur les dimensions sexospécifiques de la traite des êtres humains, y compris les conséquences sexospécifiques des différentes formes de traite et les différences potentielles dans la vulnérabilité des hommes et des femmes à la victimisation et son impact sur eux".

En outre, la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (Varsovie, 2005) fait particulièrement référence à la garantie de l'égalité des sexes, tant en matière de prévention que de protection.

L'identification des victimes potentielles de la traite

La première étape de toute intervention de lutte contre la traite est l'identification des victimes potentielles de la TP.

L'accent omniprésent mis sur les femmes et les filles dans le domaine de la traite a des répercussions sur l'identification des victimes potentielles. Les hommes et les garçons sont souvent négligés en tant que victimes potentielles. En outre, il existe un risque d'identification stéréotypée ou erronée, ce qui signifie que l'image archétypique de la " victime parfaite " (femme, migrante et prostituée) influence le type de profil des personnes qui seront soupçonnées d'être victimes de la traite. La prédominance d'un récit sur la victimisation féminine, qui met surtout l'accent sur la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle, se traduit dans la pratique par des efforts accrus (mais pas seulement) de la part des services de police pour identifier les personnes et victimes à risque dans le secteur du commerce sexuel.

L'identification ne se limite pas aux agents de la force publique, mais concerne tous les praticiens qui peuvent être en contact avec la personne en situation de traite: professionnels de la santé, travailleurs sociaux, ONG, travailleurs de première ligne, etc.

Encadré 22

Considérations concernant les hommes victimes de la traite

L'absence d'une approche sexospécifique de la traite mine le caractère unique de l'expérience de l'homme victime. Les stéréotypes sexistes peuvent nuire à la capacité d'identifier correctement les hommes victimes de la traite. Cela empêche les hommes victimes de recevoir l'assistance et les services de protection nécessaires. Les constructions stéréotypées de la masculinité peuvent amener les hommes à hésiter à reconnaître qu'ils sont victimes de la traite et/ou à s'identifier comme victimes.

Source : ICAT 2015 Genre et traite des êtres humains

Le Protocole contre la traite des personnes prévoit également l'inclusion de considérations sexospécifiques dans la formation des services de détection et de répression afin d'améliorer l'identification des victimes et d'éviter les effets préjudiciables des préjugés sexistes :

Encadré 23

Protocole contre la TP : Article 10, paragraphe 2

2. Les États Parties assurent ou renforcent la formation des agents des services de détection, de répression, d’immigration et d’autres services compétents à la prévention de la traite des personnes. Cette formation devrait mettre l’accent sur les méthodes utilisées pour prévenir une telle traite, traduire les trafiquants en justice et faire respecter les droits des victimes, notamment protéger ces dernières des trafiquants. Elle devrait également tenir compte de la nécessité de prendre en considération les droits de la personne humaine et les problèmes spécifiques des femmes et des enfants, et favoriser la coopération avec les organisations non gouvernementales, d’autres organisations compétentes et d’autres éléments de la société civile.

Considérations relatives aux entrevues avec les victimes de la traite des personnes

Il existe différents outils et lignes directrices consacrés aux entrevues avec les victimes potentielles de la traite. L'une des principales considérations à prendre en compte est le souci d'adopter une approche tenant compte des sexospécificités.

Encadré 24

Considérations relatives aux entrevues

  • Même lorsqu'une entrevue a permis d'établir la confiance des victimes et des témoins, il se peut qu'ils ne fournissent jamais un compte rendu complet au cours d'une seule entrevue. Outre le traumatisme qu'ils ont subi, d'autres obstacles sociologiques et psychologiques entravent le processus, notamment les différences socioculturelles, la langue et le sexe.
  • Les questions de genre affectent considérablement la capacité de l'intervieweur à obtenir de l'information.
  • Les femmes et les enfants victimes de la traite sont souvent victimes d'abus sexuels et de violence et peuvent hésiter à demander de l'aide en raison de la honte et de la stigmatisation qui peuvent résulter de la divulgation de leurs expériences. Les hommes, en particulier ceux d'une culture qui a une vision traditionnelle de la masculinité, peuvent ne pas vouloir admettre leur victimisation parce qu'ils craignent que le fait de révéler qu'ils ont perdu le contrôle de leur vie n'entraîne des perceptions d'une masculinité réduite. Pour ces raisons, les hommes et les femmes sont peut-être plus enclins à parler au personnel chargé de l'application de la loi et aux prestataires de services du même sexe.
  • Les enquêteurs qui parlent couramment la langue de la personne qu'ils interrogent et qui ont des affinités culturelles avec elle peuvent avoir plus de succès.

Source : ONUDC (2008) Boîte à outils pour lutter contre la traite des personnes Programme mondial contre la traite des êtres humains pp. 176-177

Enquêtes et procédures judiciaires dans les affaires de trafic illicite de migrants

En ce qui concerne le TIM, des considérations de genre sont également incluses dans le code de conduite des enquêtes et des procédures judiciaires en ce qui concerne la protection générale des droits fondamentaux de l'homme ainsi que les principes de non-discrimination.

Encadré 25

Extrait du manuel de formation de base de l'ONUDC sur les enquêtes et les poursuites en matière de trafic illicite de migrants

Non-discrimination

L'un des principes fondamentaux du droit international relatif aux droits de l'homme est que toutes les personnes ont le droit d'être reconnues comme telles devant la loi, d'être traitées sur un pied d'égalité devant la loi et d'avoir droit sans aucune discrimination à une égale protection de la loi.

Les responsables de l'application des lois ne doivent pas faire de discrimination illégale fondée sur la race, le sexe, la religion, la langue, la couleur, les opinions politiques, l'origine nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Le fait que tout le monde soit égal devant la loi ne signifie pas, cependant, que tout le monde soit identique. Il n'est donc pas considéré comme discriminatoire pour un agent de la force publique d'appliquer certaines mesures spéciales destinées à répondre aux besoins et à la situation particulière des femmes (y compris les femmes enceintes et les mères allaitantes), des mineurs, des malades, des personnes âgées, des personnes ayant des besoins spéciaux et d'autres personnes nécessitant un traitement spécial conformément aux normes internationales relatives aux droits humains.

Source: UNODC (2010). Basic training manual on investigating and prosecuting the smuggling of migrants

Dimension sexospécifique de l'assistance et de l'appui

Cette section sur l'assistance et le soutien ne portera que sur la TP puisqu'il n'existe pas de mesures comparables d'assistance et de protection pour les migrants faisant l'objet d'un trafic illicite et, par conséquent, pas de documentation correspondante sur le TIM.

En général, les mesures de soutien et d'assistance aux victimes de la traite sont insuffisantes. En dehors du cadre de la traite sexuelle, encore moins de services sont offerts. En outre, en raison de l'attention limitée accordée aux hommes victimes de la traite, les services et les mesures de soutien destinés aux hommes victimes ont beaucoup moins progressé. Pour les hommes qui quittent des situations d'exploitation au travail, par exemple, les mesures d'assistance et de soutien sont souvent absentes. Un élément crucial à considérer est la stigmatisation que les victimes peuvent ressentir, une stigmatisation liée au fait d'avoir été victime de la TP à des fins d'exploitation sexuelle.

En outre, certains chercheurs ont analysé de manière critique les types actuels de réponses et d'interventions de lutte contre la traite des êtres humains. Néanmoins, trop peu de choses ont été dites et documentées sur la vie après la traite : "Des histoires spectaculaires de la vie durant la traite saturent les médias, les discours des politiciens et les campagnes de collecte de fonds des organisations non gouvernementales. Avec tant d'attention portée aux histoires de brutalité, ou d'évasions et de sauvetages dramatiques, il y a eu peu d'attention à ce qui se passe après la traite " (Brennan et Plambech 2018).

Trop souvent, l'assistance et la protection en matière de lutte contre la traite des êtres humains se concentrent et se limitent au sauvetage et à la réhabilitation. Dans de nombreux pays, la société civile, des organisations internationales et des groupes confessionnels ont ouvert des centres d'accueil pour les femmes et les filles " sauvées " de la traite sexuelle afin de soutenir leur réinsertion. Il a été documenté que les refuges (en Europe de l'Est et en Asie) imposent souvent des restrictions et un contrôle sur leurs déplacements et leurs décisions, ce qui peut avoir des effets néfastes sur les femmes et les filles (Segrave et al., 2009). En effet, après avoir quitté les situations de contrôle, dans les situations de traite, les femmes et les filles peuvent être confrontées à de nouvelles formes de contrôle sur leur vie au nom de leur protection. De telles pratiques les privent de leur action et de leur pouvoir sur les décisions de leur vie.

En outre, dans de nombreux pays, l'assistance et la protection fournies aux victimes de la traite sont subordonnées à la coopération de la victime dans l'enquête et la poursuite du trafiquant. Par exemple, un élément clé de la protection dans les cas impliquant des migrants en situation irrégulière est l'octroi d'un visa temporaire et du droit de rester dans le pays. Toutefois, l'octroi de ce type de visa est souvent subordonné à la participation de la victime aux procédures pénales et judiciaires.

Des réponses efficaces à la TP, ainsi que des mesures de soutien et d'assistance, doivent répondre aux besoins des victimes (telles que des possibilités de travail décent).

En outre, l'exemple ci-dessous illustre les implications des mesures de lutte contre la traite qui impliquent le retour de la victime dans son pays d'origine. Après le sauvetage et l'identification, les victimes de la traite ont la possibilité de retourner dans leur pays grâce à des programmes de retour volontaire et de réinsertion.

Encadré 26

La violence dans la sécurité du foyer: la vie au Nigeria après la vente de rapports sexuels en Europe

Beaucoup de femmes se retrouvent dans des situations de violence quotidienne après avoir été " sauvées " de la vente de sexe en Europe. Pourquoi certaines souffrances sont-elles considérées comme plus légitimes que d'autres ?

Identifier et séparer les " victimes de la traite " des " criminels " - les migrants sans papiers considérés comme coupables d'infractions aux lois sur l'immigration - est une pratique quotidienne complexe dans la lutte contre la traite des êtres humains. Qui est digne d'assistance et qui ne l'est pas ? Quels sont les effets continus de ces désignations sur les femmes expulsées après avoir vendu des services sexuels en Europe ?

Le passage du Nigéria à l'Europe coûte cher, en grande partie parce que des contrôles frontaliers de plus en plus stricts ont obligé de plus en plus de migrants à employer des passeurs pour assurer leur passage. Le prix de ce service variait, selon les femmes migrantes nigérianes avec lesquelles je travaille, de 40 000 à 60 000 euros en juin 2015. L'itinéraire emmène un migrant potentiel à travers le désert du Sahara jusqu'en Libye avant de le transporter à travers la Méditerranée jusqu'en Italie. Si les femmes qui tentent leur chance en Europe ne connaissent peut-être pas toutes les conditions et les dangers de leur emploi à leur arrivée, la plupart d'entre elles savent qu'elles travailleront pendant deux ou trois années difficiles sous la direction d'une " madame " pour rembourser leur dette.

Je fais référence au mouvement caractérisé par cette dette - considérée par les femmes comme faisant partie d'un arrangement de migration conjointe entre elles, leurs familles et leurs " parrains " - comme une migration de travail sexuel sous contrat. Les femmes qui l'entreprennent sont vulnérables à la violence et à l'exploitation grave et partagent des expériences communes de vie sans papiers en Europe et de travail sexuel pour rembourser cette dette. Malgré ces points communs, celles qui sont découvertes peuvent avoir des destins remarquablement divergents : certaines sont expulsées en tant qu'immigrantes sans papiers, tandis que d'autres sont identifiés comme " victimes de la traite " et renvoyées au Nigéria dans le cadre du programme dit de retour volontaire assisté et de réintégration (AVRR). Les premiers ne reçoivent rien, tandis que les seconds reçoivent une petite somme d'argent et une assistance psychosociale pour se " réintégrer " au Nigeria.

Il est difficile de déchiffrer à partir de leurs récits pourquoi certaines femmes ont été désignées " victimes" alors que d'autres se sont retrouvées "criminelles". Leurs expériences en Europe étaient remarquablement similaires. Au contraire, ce qui ressort clairement de leurs récits, c'est que leurs étiquettes ont été façonnées par des rencontres arbitraires et le hasard, ainsi que par les conséquences non systématiques d'une rencontre avec un agent d'immigration ou un travailleur social particulier qui pourrait ou non s'intéresser à leur cas.

Le cas de "Grace”

Grace est une femme Nigériane qui a passé six ans à vendre des services sexuels dans les rues des villes italiennes avant d'être identifiée comme " victime de la traite " par les autorités italiennes. Elle s'est sentie obligée d'accepter l'AVRR parce qu'elle n'avait pas d'autres options. J'ai rencontré Grace sept mois après son retour d'Italie dans un stand de nourriture qu'elle avait ouvert à la périphérie de Benin City, au Nigeria. Ses clients étaient des camionneurs et des travailleurs du sexe locaux, et l'entreprise allait bien. Elle m'a raconté que, deux mois après son retour, des hommes armés sont venus à son stand et ont volé les casseroles, la nourriture et la majeure partie de son argent. Sa motivation pour accepter l'AVRR en Italie - l'aide financière - a été perdue lors du vol et l'ONG locale n'a pas pu obtenir plus de fonds des donateurs italiens.

Un argument courant contre le rapatriement est que les trafiquants pourraient intercepter les femmes dans les aéroports pour leur réclamer des dettes impayées. Ce n'est pas ce qui est arrivé à Grace. Au lieu de cela, elle s'est retrouvée dans une situation de vulnérabilité accrue au Nigéria car bien qu'elle n'ait pas les moyens d'avoir un mode de vie sûr, on l'imaginait revenue avec des actifs d'Europe. Grace, comme beaucoup d'autres femmes qui ont été " rapatriées ", vit et travaille dans les banlieues où les loyers sont plus bas. Ce sont des zones dangereuses avec peu de routes pavées et encore moins de lampadaires, et beaucoup de femmes n'ont même pas les moyens de se payer des portes verrouillables. Pourtant, on lui avait donné de l'argent pour ouvrir un stand, ce qui a fait d'elle une cible. En d'autres termes, alors que Grace était vulnérable à la déportation en Europe, elle est devenue vulnérable à Benin City à cause de la déportation.

Ce qui est arrivé à Grace est emblématique des dangers auxquels font face les travailleuses du sexe nigérianes " de retour ". Comme le montrent clairement les expériences de ces femmes, la violence, la vulnérabilité et la victimisation ne sont pas exclusivement liées au travail du sexe et à la migration à l'étranger mais font partie de la vie quotidienne " chez soi " au Bénin. Il s'agit d'événements réguliers et prévus qui se sont produits à l'extérieur de l'état de l'acte. Cette vérité reste trop souvent cachée parce que l'accent mis sur la violence perçue de la traite " rend les autres formes de violence invisibles ou normales ", selon les termes de Baye and Heumann, et exclut à la fois les " victimes " et les " criminels " de la protection. De plus, cette focalisation occulte la violence perpétrée par d'autres acteurs que les individus qui ont facilité ou provoqué leur migration. Ainsi, lorsque j'ai demandé aux femmes de comparer l'Europe au Nigeria, beaucoup m'ont dit qu'il était plus sûr de vendre du sexe dans les rues de Rome ou de Hambourg que de tenir un stand de nourriture à Benin City, même si beaucoup d'entre elles ont également été victimes de violence intense en Europe. (…)

Source : Sine Plambech (2015) La violence dans la sécurité à la maison : la vie au Nigeria après la vente de rapports sexuels en Europe. OpenDemocracy Blog, Beyond Trafficking and Slavery, 12 août 2015..

De plus, l'accent mis sur les femmes victimes de la traite a fait en sorte que l'on connaisse très peu les expériences vécues par d'autres groupes, comme les hommes, à la suite de la situation de la TP. Quels sont les défis auxquels ils sont confrontés ? Le texte ci-dessous est un extrait d'un article sur les expériences d'hommes indonésiens rentrant chez eux après avoir été victimes de la traite.

Encadré 27

Des hommes indonésiens rentrent chez eux après avoir été victimes de la traite des êtres humains

"Les expériences de réinsertion à long terme, en particulier celles des hommes, sont largement absentes des recherches sur la traite des êtres humains en Indonésie (et même plus largement), et pourtant la compréhension de ces expériences est essentielle à notre capacité à concevoir et mettre en œuvre des programmes et politiques de réinsertion adaptés et efficaces. Il manque également une compréhension de la nature et des raisons des tensions au sein des familles et des communautés des hommes après la traite et au cours de leur vie après la traite. Ces expériences doivent être mieux comprises pour assurer une identification et une assistance plus efficaces des hommes indonésiens et le soutien nécessaire pour se rétablir et se réinsérer après la traite. Cela est particulièrement urgent lorsque le soutien fourni par la famille peut être la seule assistance disponible aux hommes victimes de la traite dans leur vie après la traite et lorsque la dynamique communautaire peut, dans certains cas, compromettre leur réinsertion.".

Source : Surtees, Rebecca (2018) At Home : Réinsertion familiale des hommes indonésiens victimes de la traite. Anti-Trafficking Review, numéro spécial - La vie après la traite, no 10. (p.1)
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