Une attention particulière a été portée à l’abus d’une situation de vulnérabilité, qui est l’un des “moyens” inclus dans la définition de la traite. Les Travaux Préparatoires (le registre des négociations des Nations Unies) du Protocole contre la traite des personnes indiquent qu’une personne vulnérable est une personne qui “n’a pas d’autre choix réel et acceptable que de se soumettre à l’abus en question ”. Commentant cette définition, l’ONUDC, dans son document de travail intitulé Abus d’une situation de vulnérabilité et autres ‘moyens’ dans la définition de traite des personnes, explique que les personnes vulnérables sont celles pour qui il est particulièrement difficile d’exercer pleinement leurs droits devant le système judiciaire reconnu par la loi, en raison de leur âge, de leur genre, de leur état physique ou mental, ou en raison de circonstances sociales, économiques, ethniques ou culturelles.
L’existence de la vulnérabilité est mieux évaluée au cas par cas, en tenant compte de la situation personnelle ou circonstancielle de la victime présumée. La vulnérabilité personnelle par exemple, peut être liée à un handicap physique ou mental de la personne. La vulnérabilité circonstancielle peut concerner une personne qui se trouve en situation irrégulière dans un pays étranger dans lequel elle est isolée sur le plan linguistique et social. La vulnérabilité circonstancielle peut également concerner une personne touchée par le chômage et la misère économique. Ces vulnérabilités peuvent être préexistantes ou peuvent être créées par le trafiquant. Les vulnérabilités préexistantes peuvent être liées (sans s’y limiter) à la pauvreté, à un handicap physique ou mental; à la jeunesse ou à la vieillesse; au genre, à une grossesse, à la culture; à la langue, aux croyances, à la situation familiale ou à une situation irrégulière. La vulnérabilité créée peut être liée (sans s’y limiter) à un isolement social, culturel ou linguistique; à une situation irrégulière ou à une dépendance engendrée par la toxicomanie, par un attachement romantique ou émotionnel ou par l’utilisation de pratiques ou de rites religieux ou culturels.
La Loi type arabe contre la traite des êtres humains combine tous ces éléments pour définir l’abus d’une situation de vulnérabilité :
… l’exploitation d’un handicap physique, mental ou psychologique ou d’une situation légale donnée, ou de toute situation particulière pouvant affecter la volonté et la conduite de la personne qui n’a pas d’autre choix réel et acceptable que de se soumettre à l’abus en question.
La preuve de la vulnérabilité est un élément important dans un cas de traite et pourrait être un indicateur essentiel pour identifier les victimes. Par conséquent, une évaluation précise de la vulnérabilité peut apporter aux victimes une protection et un soutien adéquats.
Il est toutefois important de faire une distinction entre la “vulnérabilité” comme telle et “l’abus d’une situation de vulnérabilité ” comme l’un des “moyens” cités dans le Protocole. La preuve de la vulnérabilité n’est pas en soi la preuve que le trafiquant ait abusé de cette vulnérabilité. Le procureur doit prouver l’existence de la vulnérabilité et de l’abus de cette vulnérabilité avec des preuves crédibles. La situation de vulnérabilité d’une victime peut être un indicateur de l’abus de cette vulnérabilité, mais cela ne constitue pas un moyen pour la traite à moins que le consentement de la victime ne soit annulé en raison de l’abus de cette vulnérabilité. Comme l’indique la Note d’orientation sur “l’abus d’une situation de vulnérabilité” donnant lieu à la traite de personnes, notion mentionnée à l’article 3 du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (2012) de l’ONUDC, il y a abus d’une situation de vulnérabilité lorsque:
Comme l’indique la note d’orientation, les circonstances personnelles doivent être prises en compte pour déterminer si la croyance de la victime relative au fait de n’avoir aucun choix réel ou acceptable, est raisonnable.
L’abus d’une situation de vulnérabilité, ainsi que tous les autres “moyens”, sont applicables à toutes les formes de traite et à toutes les fins d’exploitation citées dans le Protocole et les lois nationales. Des preuves crédibles de l’existence d’une situation de vulnérabilité de la victime et de l’abus de cette situation par le trafiquant sont requises pour que l’abus soit reconnu. Une telle conclusion ne devrait pas être pertinente pour les fins spécifiques d’exploitation de l’affaire.
Il faut également garder à l’esprit que l’absence d’une définition précise de l’abus d’une situation de vulnérabilité est susceptible de créer des difficultés qui doivent être identifiées et gérées. Par exemple, le mauvais usage du concept peut affecter de manière négative les droits de la victime ainsi que les droits de l’accusé (comme le droit à un procès équitable). Comme le mentionne la note d’orientation, la mauvaise application du concept peut également entraîner un élargissement du concept de la traite et cela peut affaiblir la gravité de cette infraction et de la violation des droits de l’Homme.
Faits essentiels : une ressortissante ivoirienne avait été emmenée illégalement en France à l’âge de 15 ans pour travailler dans la résidence de l’accusé et s’occuper de ses enfants. La victime était particulièrement vulnérable car il s'agissait d’une mineur en situation irrégulière. Ses parents étaient décédés à l’époque durant laquelle elle avait été soumise au travail forcé. Elle n’avait pas de passeport et dépendait totalement de la famille pour laquelle elle travaillait. Plus spécifiquement, la victime n’avait reçu aucune rémunération pour la garde d’enfants et le travail domestique effectués. Elle n’allait pas à l’école et n’avait aucun jour férié ni de vacances. Elle ne disposait d’aucun espace privé dans la maison car elle dormait sur un matelas posé sur le sol dans la même pièce que les enfants.
Décision de la Cour d’appel : la Cour d’appel rejeta la plainte affirmant que les conditions de vie et de travail étaient contraires à la dignité humaine. La Cour signala notamment que la victime présumée avait des relations avec les enfants de la famille et partageait les mêmes conditions d’hébergement que les membres de la famille. La Cour d’appel imposa une sanction civile pour avoir employé illégalement un immigrant et pour avoir abusé de la situation de vulnérabilité d’une personne pour obtenir des services gratuits.
Peines/indemnisation : la Cour de cassation confirma l’octroi de la compensation monétaire décidée par la Cour d’appel ainsi que la condamnation à une peine de prison d’un mois. L’indemnisation s’élevait à 5 000 EUR et couvrait le préjudice matériel et moral.
Faits essentiels : l’affaire concernait l’exploitation de 30 travailleurs Bangladais dans les cultures de fraises. Le propriétaire et les contremaîtres de la ferme de fraises, ainsi que l’homme d’affaires qui finançait la production et qui recevait et distribuait les fraises sur le marché, furent accusés de faire feu et de blesser 30 cueilleurs de fraises Bangladais qui réclamaient leurs salaires impayés; certains immigrants furent gravement blessés. Les immigrants travaillaient en contrepartie de bas salaires, des matériaux leur étaient fournis pour construire des cabanes dans lesquelles ils vivaient tous ensemble. Les victimes recevaient leur nourriture et des produits d’hygiène personnelle d’un supermarché local spécifique qui avait un accord avec le producteur, et les coûts respectifs étaient déduits de leur salaire mensuel. Les coups de feu furent tirés lorsque les victimes firent grève durant la haute saison de la récolte des fraises pour réclamer leurs salaires des six derniers mois. Le propriétaire de la ferme chercha à embaucher d’autres travailleurs et les tensions surgirent car les victimes essayèrent d’empêcher de travailler les cueilleurs de fraises nouvellement arrivés. L’un des contremaîtres tira en l’air pour intimider les victimes, et comme celles-ci restaient dans le champ il tira sur elles.
Décision rendue par les membres du jury mixte de la Cour de Patras : la Cour acquitta à l’unanimité tous les défendeurs pour l’infraction de traite des êtres humains à des fins de travail forcé. Le tribunal de première instance jugea qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour établir le concept de vulnérabilité sur la base de l’Article 323A du Code pénal. Les défenseurs furent toutefois condamnés pour l'acte criminel de lésions corporelles graves. Le verdict fut examiné par le procureur général de la Cour suprême (236) qui estima qu’il n’y avait aucun motif pour faire appel en cassation.