Ce module est une ressource pour les enseignants

La question du consentement

Le Protocole contre la traite des personnes stipule que lorsque l’élément d’intention est présent, le consentement de la victime est indifférent. Dans la pratique, des trafiquants qui font face à des poursuites peuvent prétendre que leurs victimes étaient consentantes. L’ONUDC a publié un document de travail sur ce sujet intitulé le rôle du consentement dans le Protocole contre la traite des personnes.

Pour diverses raisons, on pourrait parfois croire que les victimes de traite ont donné leur consentement à la situation de traite, et par conséquent ne semblent pas être des victimes de traite. Ceci peut être le résultat de facteurs socio-économiques. Par exemple lorsque les victimes sont habituées à travailler pendant de longues heures dans de mauvaises conditions. Leur consentement présumé peut aussi être le produit de facteurs culturels, y compris l’importance du chef de famille ou de la cellule familiale qui prend les décisions ou les rôles de genres qui découragent les femmes et les jeunes filles d’exprimer leur pouvoir. Des facteurs psychologiques tels que la peur, la honte et l’incapacité d’affronter ce qui s’est passé peuvent aussi être importants. Les victimes peuvent également penser à tort que lorsqu’elles initialement consenti à l‘offre d’emploi ou à tout autre bénéfice proposé par le trafiquant, elles avaient effectivement donné leur consentement à tous les abus et l’exploitation qui s’en sont ensuivis, et ne se considèrent donc pas comme des victimes même si au moment où elles ont donné leur consentement elles n’avait pas connaissance de l’exploitation ou des abus (ONUDC, 2014).

Les actions et les intentions des auteurs permettent de déterminer si l’infraction de traite a été commise. Selon certains arguments le consentement devrait être pris en considération mais le contre-argument général est que le consentement pour transgresser des valeurs sociales et humaines fondamentales comme la dignité, la liberté et la protection des membres les plus vulnérables de la société, ne devrait pas être permis.

Bien qu’il puisse y avoir un consensus général sur la nature de ces valeurs, il n’y a pas d’accord universel sur leurs limites ou sur la façon dont elles devraient être interprétées et appliquées dans des cas spécifiques de traite. Les “valeurs” peuvent aussi être invoquées pour faire valoir divers points de vue sur la question de la traite (voir aussi ONUDC, 2017). La traite à des fins d’exploitation sexuelle en est un bon exemple. D’une part certains invoquent les valeurs de dignité humaine pour étayer leur opinion selon laquelle les tribunaux devraient adopter une interprétation élargie de l‘exploitation car les travailleurs sexuels étaient incapables de donner un consentement libre et éclairé, par ailleurs d’autres s’opposent à ces arguments et déclarent que le travail sexuel représente un choix professionnel éclairé et légitime. Ils préconisent donc une interprétation restrictive de l’exploitation (voir aussi le Module 13).

Le consentement dans le Protocole

L’Article 3(b) du Protocole contre la traite des personnes stipule que “Le consentement d'une victime de la traite des personnes à I ‘exploitation envisagée, telle qu'énoncée à I‘alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque qu'un quelconque des moyens énoncés à I‘alinéa a) a été utilisé ”. De nombreux problèmes relatifs à l’interprétation persistent pour ce qui concerne l’interaction des “moyens” avec le consentement des victimes conformément au Protocole, et l’application des lois contre la traite au niveau national (voir UNODC, 2014). Par exemple :

  • Est-ce que le Protocole exige que les “moyens” utilisés affectent ou invalident le consentement d’une victime présumée?
  • La nature des “moyens” doit-elle être suffisamment grave pour que le consentement soit annulé?
  • Quand le consentement est-il pertinent et à quelle étape du processus de la traite?
  • De quelle façon l’existence du consentement atténue les peines imposées aux contrevenants déclarés coupables ou les réparations accordées aux victimes?

Néanmoins on peut formuler les observations suivantes :

  • D’une manière générale, le consentement doit être pleinement éclairé et librement donné pour fournir une base potentielle de défense pénale. Comme le prévoit l’alinéa (b) de l’article 3, il est annulé s’il a été obtenu par le biais de l’un des moyens énoncés à l’alinéa (a) de l’article 3. Ceci inclut les menaces ou l’utilisation de la force ou d’autres formes de coercition, l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus de pouvoir ou l’abus d’une situation de vulnérabilité, ou l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité ayant autorité sur une autre.
  • Comme indiqué précédemment, dans le cas des enfants victimes de la traite, le consentement n’est jamais un moyen de défense, indépendamment des moyens qui ont été utilisés car les enfants n’ont pas la capacité juridique de consentir à leur exploitation. Conformément à l’alinéa (d) de l’article 3, il n’est pas nécessaire de prouver l’utilisation de l’un des moyens pour la traite des enfants.
  • En matière de politique publique, le consentement de la victime n’est pas une défense reconnue dans de nombreuses infractions. L’attention doit se concentrer sur les actes et la conduite des auteurs des infractions et non sur les actes et la conduite des victimes.

L’exploitation seule n‘est pas suffisante

La définition de la traite des personnes indique que l’existence uniquement de conditions d’exploitation ne suffit pas pour établir une infraction de traite des adultes. Donner son accord pour travailler dans une situation qui peut être considérée une situation d’exploitation ne constitue pas l’infraction de traite si la victime a donné un consentement libre et éclairé, c’est-à-dire si l’accord a été conclu et demeure valide sans faire appel à aucun des moyens énoncés à l’alinéa (a) de l’article 3. Néanmoins l’existence uniquement de conditions d’exploitation peut constituer une infraction telle que le travail forcé ou une violation des lois nationales régissant le travail ou la prostitution.

Encadré 5

Lorsque le consentement n’est pas pertinent

Une offre d’emploi frauduleuse

Dans de nombreux cas de traite, les offres frauduleuses incluent la promesse d’un permis de séjour et d’un travail légal. Parfois la victime donnera son accord pour être introduite clandestinement dans un pays afin de trouver du travail mais il est clair qu’elle ne consent pas à une exploitation postérieure.

Tromperie relative aux conditions de travail

Le fait qu’une victime sache à l’avance qu’elle va travailler dans une maison close n’atténue pas la responsabilité pénale du trafiquant qui par la suite imposera des conditions d’exploitation contraires aux promesses qu’il avait faites. Il existe les éléments d’exploitation et de moyens. La gravité de l’infraction n’est pas atténuée par le fait que la victime connaissait la nature du travail car elle a été induite en erreur sur les conditions de travail.

Lorsque l’exploitation concerne les enfants

Un enfant est victime de la traite même si ses parents ont donné leur consentement pour que l’enfant travaille – même s’ils ont donné leur consentement sans être menacés, forcés, contraints, enlevés ou trompés. Lorsque l’infraction de traite et la finalité d’exploitation sont établis, le fait qu’aucun moyen impropre n’ait été utilisé n’invalide pas l’infraction lorsque des enfants sont impliqués.

ONUDC, Référentiel d’aide à la lutte contre la traite de personnes (2008), Chapitre 1 - Cadre juridique international

Pratiques et législation nationale

La détermination des questions relatives au consentement dépendra des faits particuliers de chaque cas, de la législation nationale et de la jurisprudence de la juridiction pertinente. De nombreuses juridictions estiment que le consentement de la victime ne saurait constituer une défense (comme l’Argentine, l’Indonésie et la Thaïlande). Certaines ont simplement adopté la terminologie du Protocole contre la traite des personnes, et d’autres ont déclaré que le consentement ne pouvait pas être évoqué comme un moyen de défense pour toute conduite constituant une infraction; ne pouvait exclure l’existence d’une infraction pénale pertinente ni exonérer l’auteur de l’infraction de sa responsabilité; ni empêcher les poursuites engagées par l’état (voir par exemple la législation de l’Indonésie). Divers sondages et consultations entrepris par l’ONUDC ont confirmé que dans les États où la loi ne fait pas référence au consentement il y a souvent une affirmation jurisprudentielle déclarant que le silence sur cette question est sans importance dans les cas de traite et /ou la compréhension et le soutien des praticiens du droit du principe de la non-pertinence du consentement dans les affaires de traite- au moins au niveau des poursuites (ONUDC, 2014).

Encadré 6

Exemples de législations nationales qui traitent de la question du consentement

  • L’Article 16 de la loi contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants de 2007 de Malaisie stipule que “lors de la poursuite d’un délit de traite, le fait que la personne objet de la traite ait consenti à la traite ne peut être invoqué comme moyen de défense.
  • L’Article 18 de la No. 6 de 2008 du Mozambique stipule que “le consentement des victimes n’exclut ni n’atténue pas la responsabilité pénale des auteurs des infractions visées par la présente loi.
  • L’Article 2 de la loi sur l’esclavage moderne de 2005 du Royaume Unie stipule que “peu importe que V consente à voyager, que V soit un adulte ou un enfant.”
  • L’Article 7 de la No. 4 sur la traite des personnes de 2014 du Zimbabwe stipule que “une personne accusée de traite des personnes ne peut invoquer pour sa défense le fait que la victime ait consenti à tout acte constitutif de l’infraction.”

L’ONUDC a publié une loi type pour aider les États à rédiger leur législation nationale concernant la traite. La loi type aborde la question du consentement de la victime, de même que le référentiel d’aide à la lutte contre la traite de personnes de l’ONUDC (voir l’encadré 7).

Encadré 7

Extrait de la loi type de l’ONUDC contre la traite des personnes

Il est logiquement et juridiquement impossible de “donner son consentement” lorsque l’un des moyens énoncés dans la définition est utilisé. Un consentement authentique n’est possible et reconnu sur le plan juridique que si tous les faits pertinents sont connus et que la personne exerce son libre arbitre.

Toutefois, si la question du consentement n’est pas clairement réglée dans la législation interne, il convient d’intégrer un paragraphe distinct dans la loi. Par exemple :

  • “Le consentement d’une victime de la traite à l’exploitation (envisagée) visée au paragraphe 2 de l’article 8 est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa b du paragraphe 1 de l’article 8 est utilisé.”; ou
  • “En cas de poursuites pour traite des personnes au sens de l’article 8, le prétendu consentement d’une personne à l’exploitation envisagée est indifférent dès lors que l’un quelconque des moyens ou des circonstances énoncés au paragraphe 2 de l’article 8 est établi.”

ONUDC Loi type contre la traite des personnes (2009)
Encadré 8

Le consentement dans la pratique

  • Le consentement de la victime peut être un moyen de défense en droit interne, mais dès que l'un des moyens inappropriés susmentionnés est établi, le consentement devient nul et sans effet et personne ne peut l'invoquer.
  • Dans la plupart des systèmes de justice pénale l’accusation fera valoir l’utilisation de moyens inappropriés et la défense fera valoir le consentement de la victime, laissant au tribunal le soin d'évaluer la validité des preuves avancées par les deux parties.
  • Il y a traite si le consentement est invalidé ou vicié par l'utilisation de moyens inappropriés par le trafiquant. Autrement dit, le consentement de la victime à un stade donné ne signifie pas consentement à tous les stades. Or, sans consentement à tous les stades, il y a traite.
  • Une autre question qui se posera est celle de savoir si, en vertu du droit interne, le sujet avait la capacité de consentir au recrutement ou au traitement ultérieur. L'article 3 c du Protocole relatif à la traite des personnes rend le consentement d'un enfant nul et sans effet, cette capacité pouvant être davantage restreinte par le droit d'un État.

ONUDC, Référentiel d’aide à la lutte contre la traite de personnes (2008), Chapitre 1 - Cadre juridique international

Autres questions relatives au consentement

Il faut enfin signaler que le consentement peut être pertinent dans de nombreux aspects à l’exception de la preuve de l’infraction de traite. Par exemple, lorsque le consentement de la victime ne peut constituer un moyen de défense contre une accusation de traite, cela peut être pertinent pour la sanction qui sera imposée à l’auteur de l’infraction (les peines peuvent être réduites lorsque la victime a consenti à son exploitation). Cela peut également porter atteinte à l’identification des victimes présumées et à la mise en œuvre des mesures d’assistance et de protection correspondantes. Il y a par exemple des victimes de la traite qui peuvent avoir activement recherché les situations dans lesquelles elles ont été exploitées, elles peuvent s’y être habituées et elles peuvent même se considérer “mieux loties ” en vivant et en travaillant dans des conditions d’exploitation que dans leurs situations précédentes dans leurs lieux d’origine. Certaines peuvent avoir développé des relations complexes avec leurs trafiquants, souvent caractérisées par le contrôle, des liens familiaux, la dépendance ou même de l’affection (ONUDC, 2014). De plus, le consentement des victimes peut avoir un effet négatif sur le montant des indemnités octroyées.

Encadré 9

Le consentement dans la détermination de la peine– étude de cas en Belgique: Corr. Gand, 2 Avril 2012, 19de k (néerlandais) (BE-44-1)

Faits principaux : cette affaire concerne l’exploitation économique d’un ressortissant de Sierra Leone par un ressortissant belge (originaire de Sierra Leone) à Gand en Belgique. L’accusé était poursuivi pour traite de personne, trafic illicite de migrants, falsification de documents et fraude. La victime avait payé 3 500 USD à l’accusé pour être transportée en Europe. A son arrivée à Gand, la victime avait été hébergée gratuitement au domicile de l’accusé. En contrepartie, le défendeur faisait travailler la victime et les salaires de la victime, que celle-ci n’avait jamais perçus, étaient versés sur un compte ouvert sous une fausse identité.

Décision du Tribunal de première instance de Gand, Section pénale : le tribunal jugea l’accusé coupable de falsification de documents, de fraude, de traite d’êtres humains et de trafic de migrants, dans des conditions contraires à la dignité humaine. Le tribunal jugea que le consentement de la victime à l’offre d’emploi n’était pas pertinent, pas plus que le fait d’avoir été employé dans un environnement normal de travail et avec des conditions normales de travail. Le tribunal jugea que l’accusé avait abusé de la position de vulnérabilité de la victime due à sa résidence illégale dans le pays et au manque de protection sociale et de moyens financiers. La victime n’avait pas eu d’autre choix raisonnable que de souffrir cet abus.

Peines/compensation :

  • Peine: d’emprisonnement de trois ans (dont 18 mois avec sursis) et une amende de 11 000 EUR.
  • Compensation: 10 625 EUR (préjudice matériel et moral).

Commission européenne, Etude de jurisprudence concernant la traite des êtres humains à des fins d’exploitation du travail rapport final (2015)
Section suivante : Les finalités de l’exploitation
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