Dans la pratique, le fait d'identifier correctement un comportement comme trafic illicite ou traite a des conséquences importantes (voir Mc Adams, 2015 ainsi que dans l'Etude sur la Lutte contre la Traite, 2018). Les migrants faisant l'objet d'un trafic illicite ne bénéficient pas des mesures de protection et d'assistance plus solides accordées aux victimes de la traite. L'assistance et la protection des victimes de traite en vertu du Protocole contre la Traite des Personnes sont plus importantes que celles qui sont accordées aux migrants faisant l'objet d'un trafic illicite en vertu du Protocole contre le Trafic illicite de migrants. Les peines prévues pour les infractions de trafic illicite sont aussi généralement moins sévères que celles prévues pour la traite des personnes.
Déterminer clairement s'il s'agit d'un cas de trafic illicite ou de traite peut être compliqué pour plusieurs raisons, comme l'illustrent les scénarios suivants :
L'exemple de l'Encadré 5 ci-dessous montre le cas d'un groupe criminel organisé qui se livre simultanément au trafic illicite de migrants et à la traite des personnes. Ce qui a commencé comme une opération de trafic illicite de migrants impliquant dix migrants s'est terminé par le trafic illicite de neuf migrants et la traite d'une victime.
Flux migratoires mixtesUne organisation criminelle a passé des contrats avec 10 personnes pour qu'elles fassent l'objet d'un trafic illicite depuis le pays d'origine 1 au pays de destination 2. Chaque personne était chargée de payer des frais de 10 000 $ US. À leur arrivée dans le pays de destination 2, neuf personnes ont payé les 10 000 $ US et ont été libérées par les trafiquants. Cependant, les trafiquants, cherchant à maximiser leurs profits, ont informé la dixième personne que ses frais de trafic illicite étaient maintenant de 30 000 $ US. Le dixième migrant n'a pas été en mesure de payer les frais supplémentaires et, au lieu de la libérer, les trafiquants l'ont vendu à un propriétaire de bordel. L'organisation criminelle s'est livrée aussi bien au trafic illicite de migrants qu'à la traite des personnes lors de la même opération. Ce qui a commencé comme une entreprise de trafic illicite de migrants impliquant dix migrants, s'est terminé par le trafic illicite de neuf migrants et la traite d'une victime. ONUDC, Manuel de formation approfondie sur les enquêtes et les poursuites en matière de trafic illicite de migrants, Module 2: Analyse comparative du trafic illicite de migrants et de la traite des personnes |
Compte tenu de ces exemples, il est clair que ce qui peut commencer comme une enquête sur le trafic illicite de migrants peut devenir une affaire de traite et vice-versa. La clé est d'enquêter sur la conduite et les circonstances qui l'entourent, d'évaluer si des infractions ont été commises et, le cas échéant, d'enquêter et de poursuivre tous les crimes commis.
Il faut garder à l'esprit que lorsqu'il s'agit d'un traitement abusif ou inhumain, il ne s'agit pas automatiquement d'une affaire de traite. Il peut plutôt s'agir d'un trafic illicite aggravé, conformément au paragraphe 3 de l'article 6 du Protocole contre le Trafic Illicite de Migrants.
Il s'agira d'une infraction de traite des personnes si, par exemple, la personne concernée est recrutée par la tromperie, si elle n'est pas autorisée à partir et si elle est ensuite exploitée par les délinquants. En fin de compte, la question de savoir si les éléments de la traite prévus par le Protocole contre la Traite des Personnes sont satisfaits (tels qu'ils ont été transposés dans l'infraction nationale pertinente) sera déterminante.
Lorsque les migrants n'ont plus la liberté de choix et qu'ils ont été forcés, intimidés, manipulés ou contraints de se conformer aux souhaits des trafiquants - ou qu'ils l'ont fait en raison de l'abus de leur situation de vulnérabilité - il faut déterminer si le crime est devenu un crime de traite des personnes. Voir l'exemple dans l'Encadré 6.
Trafic illicite de migrants ou Traite de Personnes ?Nok est une femme de 20 ans originaire d'Asie du Sud-est. Elle est veuve et subvient aux besoins de ses deux jeunes enfants en vendant des légumes. Un jour, son amie Patnaree s'approche d'elle. Patnaree dit qu'elle peut trouver un emploi de domestique pour Nok dans un autre pays d'Asie du Sud-est où elle peut gagner 10 fois son salaire mensuel actuel. Patnaree promet également de se charger de tous les préparatifs et de payer son voyage si Nok accepte de la rembourser une fois qu'elle commencera son nouvel emploi dans le pays de destination. Décidant que ce revenu supplémentaire profitera à sa famille, Nok laisse ses enfants à la garde de sa mère et commence son voyage en bus en compagnie de Patnaree. Nok n'a pas de passeport, mais Patnaree lui assure qu'elle n'en aura pas besoin puisqu'elle a des amis à la frontière. Quelques kilomètres avant la frontière, elles quittent l'autobus et attendent dans un café au bord de la route jusqu'à ce qu'elles soient rejointes par un chauffeur de camion appelé Than. Nok est surprise de voir Patnaree payer à Than une somme d'argent importante avant qu'elles ne montent toutes les deux dans le camion avec lui et continuent leur voyage jusqu'à la frontière. Ils traversent la frontière sans aucun problème, comme Patnaree l'avait promis. C'est la seule fois où Nok traverse sciemment une frontière lors de son voyage vers le pays de destination. Than, le chauffeur du camion est amical, mais demande à Nok de voyager dans le compartiment fermé à l'arrière du camion afin d'éviter des problèmes à la prochaine frontière. Il fait sombre, chaud et c'est très inconfortable à l'arrière du camion, mais Nok est d'accord car elle n'a pas de passeport et ne peut compter que sur ses conseils et sa bonne volonté et l'amitié de Patnaree. C'est un long voyage, et le trajet de Nok dans le compartiment arrière du camion se termine dans un champ vide au bord d'une large rivière où Patnaree et le conducteur Than rencontrent quatre hommes qui sont citoyens du pays de destination. Les quatre hommes emmènent ensuite Nok de l'autre côté de la rivière. On dit à Nok qu'elle est maintenant dans le pays de destination. On lui ordonne de monter à l'arrière d'un camion qui attend au bord de la rivière. À l'arrière du camion, il y a sept autres femmes. Nok a peur, ne croyant plus qu'on va lui donner l'emploi qu'on lui a promis. Quand elle refuse de monter dans le véhicule, l'un des hommes la menace avec un revolver. Les quatre hommes voyagent ensemble dans la cabine du véhicule. Nok et les autres femmes sont emmenées dans une maison privée dans une grande ville. Pendant plusieurs semaines, les quatre hommes ont abusé physiquement et sexuellement des femmes à plusieurs reprises. Ils ne leur permettent pas de quitter les lieux. Un homme dit à Nok que si elle s'échappe, la police la mettra en prison pour être entrée dans le pays sans passeport et qu'elle ne reverra jamais ses enfants. Il menace également de localiser et faire de la traite de ses enfants si elle tente de s'échapper. D'autres hommes visitent la maison et Nok est forcée d'avoir des rapports sexuels avec eux, pour lesquels ses quatre ravisseurs sont payés. Elle n'a pas le droit de conserver une partie de l'argent ni de quitter le bâtiment. Etude de cas: Nok ; ONUDC, Une Brève Introduction au Trafic Illicite de Migrants |
L'exploitation, en tant qu'élément constitutif de la traite (par opposition au trafic illicite), peut sembler être une différence nette entre les deux crimes. Cependant, cette distinction n'est pas toujours claire dans la pratique.
La ligne de démarcation entre les deux infractions devient moins claire lorsque, par exemple, un migrant est exploité au cours de l'opération de trafic illicite ou à son arrivée dans le pays de destination. Par exemple, le migrant peut être confronté à la possibilité d'être bloqué dans un pays inconnu ou de devoir payer au trafiquant une somme encore plus importante que ce qui avait été convenu au départ. Le migrant peut craindre pour sa sécurité et donc accepter d'effectuer le paiement. S'il n'a pas les moyens d'effectuer un tel paiement, il peut chercher à fournir d'autres avantages qui équivalent à de l'exploitation (par exemple, des services sexuels). Le trafiquant pourrait également proposer de placer le migrant dans une situation de servitude pour dettes, le voyage se déroulant à la condition que, une fois dans le pays de destination, le migrant travaille dans la dépendance du trafiquant. Les conditions de travail peuvent être abusives. Dans ce cas, il faudra examiner de plus près s'il s'agit d'une affaire de trafic illicite aggravé (article 6(3) (b)) ou de traite.
Les exemples cités ci-dessus illustrent des "zones grises" pour lesquelles la décision finale quant à savoir si une personne est victime de la traite ou est un migrant faisant l'objet d'un trafic illicite, ne peut être prise correctement que si l'affaire est examinée dans son intégralité et compte tenu des circonstances particulières qui la concernent.
Veuillez voir les sections ci-dessous pour les études de cas :