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Les cadres théoriques sur les liens entre la criminalité organisée et le terrorisme

 

Les liens entre la criminalité organisée et le terrorisme sont articulés par certains experts cherchant à expliquer comment, et dans quelle mesure, les groupes criminels organisés et les terroristes/groupes terroristes interagissent. La section suivante présente un certain nombre de modèles théoriques clés qui ont été développés par des universitaires dans ce domaine et qui s’appliquent à l’étude des liens entre la criminalité organisée et le terrorisme. Il convient de noter qu’il ne s’agit là que de quelques-uns des modèles théoriques proposés par les experts ; d’autres modèles, tels que ceux élaborés par Hutchinson et O’Malley (2007) et par Ballina (2011) méritent également d’être examinés lorsqu’il s’agit de fournir un cadre théorique complet des liens entre ces deux phénomènes.

Williams a élaboré l’un des premiers travaux sur la théorie du nexus entre la criminalité et le terrorisme et a identifié trois modèles hypothétiques distincts d’interactions entre la criminalité organisée et le terrorisme (Williams, 1998). Le premier de ces modèles est la thèse de la « convergence », qui concerne l’amalgame de la criminalité organisée et du terrorisme en un seul phénomène. Cela peut être illustré, par exemple, par le fait que des groupes terroristes se livrent à des braquages de banques et à d’autres activités délictueuses afin de financer leurs opérations et que des groupes terroristes deviennent étroitement liés au trafic de drogue et, dans certains cas, y participent effectivement.

Le deuxième modèle est la thèse du « nexus entre la criminalité organisée et le terrorisme », qui concerne l’entente coopérative entre la criminalité organisée et le terrorisme. Williams suggère que cela pourrait être illustré par des armes contre des transactions de stupéfiants et par le paiement d’un tribut ou de taxes aux groupes terroristes par les groupes criminels organisés pour déplacer de la contrebande à travers leur territoire.

Le troisième type d’interaction de Williams est la « transformation », qui concerne la mutation ou la migration des activités délictueuses vers le terrorisme politique ou vice versa. Cela englobe les situations dans lesquelles un groupe terroriste diminue ses activités terroristes et augmente ses pratiques délictueuses ; ou dans lesquelles une organisation criminelle se politise fortement et modifie radicalement l’orientation de ses activités. Par exemple, ce dernier cas peut être observé dans le comportement de certains groupes criminels organisés qui ciblent activement et tuent des candidats politiques ou des membres de gouvernements locaux et nationaux.

Makarenko a identifié quatre types de relations sur un « continuum criminalité-terrorisme » (Makarenko, 2004). Selon Makarenko, un continuum « illustre le fait qu’un seul groupe peut monter et descendre l’échelle – entre ce qui est traditionnellement appelé la criminalité organisée et le terrorisme – en fonction de l’environnement dans lequel il opère » (Makarenko, 2004). Le premier type de relation, l’alliance, a lieu lorsque des groupes criminels forment des alliances avec des organisations terroristes et que des groupes terroristes cherchent à s’allier avec des organisations criminelles. Ces relations peuvent être ponctuelles ou elles peuvent durer plus ou moins longtemps, selon les raisons de l’alliance, comme l’échange de connaissances spécialisées (blanchiment d’argent, la fabrication de bombes, etc.) ou le soutien opérationnel (accès aux routes de contrebandes, transport de drogues/d’armes/de personnes/etc. en contrebande).

La deuxième relation est ce que Makarenko appelle les motivations opérationnelles, c’est-à-dire les efforts déployés par les groupes criminels et terroristes pour intégrer leurs tactiques respectives afin d’améliorer la sécurité et les opérations. Selon Makarenko, l’utilisation par les criminels des tactiques terroristes peut être retracée à travers l’histoire de la criminalité organisée, mais l’utilisation par les terroristes d’activités délictueuses est un développement relativement récent. Les groupes criminels organisés s’engagent de plus en plus dans des activités politiques pour modifier les conditions opérationnelles, en particulier dans les États fragiles ; et, simultanément, les groupes terroristes se concentrent de plus en plus sur les activités délictueuses pour compenser la perte de soutien financier provenant des États sponsors/commanditaires. La troisième relation, la convergence, implique la transformation et le mélange des tactiques et des motivations à tel point que « les organisations terroristes et criminelles pourraient converger en une seule et unique entité qui, au départ, affiche les caractéristiques des deux groupes simultanément ; mais qui a le potentiel de se transformer elle-même en une entité située à l’extrémité opposée du continuum par rapport à celle où elle a commencé » (Makarenko, 2004).

Enfin, Makarenko définit le quatrième type de relation sur le continuum criminalité-terrorisme comme le trou noir, c’est-à-dire « des situations dans lesquelles des États faibles ou en faillite favorisent la convergence entre la criminalité transnationale organisée et le terrorisme, et créent finalement un refuge pour les opérations continues des groupes convergents » (Makarenko, 2004). Cette relation, « la plus extrême » sur le continuum, se produit lorsque les groupes engagés dans une guerre civile passent d’une motivation politique à criminelle, et aussi lorsqu’un État est effectivement contrôlé par un groupe hybride (un groupe dont les activités politiques et délictueuses sont profondément imbriquées) et devient par la suite un État « trou noir ».

Les relations articulées le long du continuum criminalité-terrorisme de Makarenko révèlent la nature fluctuante des groupes criminels et terroristes et de leurs activités, et souligne également la nature changeante des interactions entre les groupes criminels organisés transnationaux et les groupes terroristes ce qui rend particulièrement difficile l’élaboration de réponses en matière de détection et de répression et de lutte antiterroriste pour faire face au nexus criminalité-terrorisme.

Shelley et al. proposent un autre modèle pour examiner les liens entre la criminalité et le terrorisme (le spectre des interactions terrorisme-criminalité) et identifient cinq types d’interactions : l’appropriation d’activités, le nexus, la relation symbiotique, hybride, et la transformation. À l’instar de Makarenko, Shelley et al. soutiennent qu’il est possible de se déplacer d’un bout à l’autre du spectre ; les groupes peuvent avancer, reculer, sauter des étapes ou conserver une forme cohérente d’interaction (Shelley et al., 2005). L’appropriation d’activités se produit lorsque des organisations terroristes et des groupes criminels organisés adoptent les méthodes de l’autre sans réellement collaborer ou travailler ensemble. Cette interaction ne représente pas un lien solide entre les groupes mais souligne la manière dont les méthodes peuvent être employées par les groupes avec une relative facilité. Dans certains cas, les groupes peuvent procéder à une interaction de type nexus dans laquelle les groupes terroristes entrent en contact régulier avec les groupes criminels organisés pour répondre à un besoin, comme l’acquisition de faux documents ou le blanchiment d’argent. Il se peut qu’un groupe terroriste ne s’engage pas dans une interaction nexus car il ne trouve pas de groupe criminel prêt à faire affaire avec lui ou parce que le groupe terroriste ne voit aucun avantage à travailler avec des personnes extérieures à son groupe. Dans ce cas-là, le groupe terroriste peut entreprendre une transformation et s’engager pleinement dans des activités délictueuses ; les profits finissent par éclipser les anciens objectifs et les méthodes terroristes. L’interaction nexus contribue à développer une relation symbiotique entre les groupes criminels organisés et les groupes terroristes. En effet, Shelley et al. soutiennent qu’une interaction nexus à long terme aboutira finalement à des relations plus profondes pour former une relation symbiotique : une relation d’avantages ou de dépendance mutuels. Enfin, l’interaction hybride a lieu lorsque « deux groupes continuent de coopérer pendant une longue période et que les membres du groupe criminel organisé commencent à partager les objectifs idéologiques des terroristes […] devenant de plus en plus semblables et finissant par fusionner ». Une organisation hybride se livre à des activités délictueuses et a également un agenda politique. Shelley et al., notent qu’une fois que les deux groupes atteignent le point d’interaction hybride, il n’y a aucune raison de supposer qu’une transformation aura lieu ensuite. En outre, l’appropriation des activités n’implique en aucun cas une future coopération entre les groupes. Prenant acte de ce paysage en constante évolution, l’étude de Shelley et al. se concentre sur l’identification et l’examen du paysage politique, économique et social pour des interactions criminalité-terrorisme spécifiques ; dans le but d’établir des « points à surveiller » où des interactions peuvent se produire.

 
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