Conformément au droit international, la traite des personnes est une infraction pénale. L’Article 3(a) du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants fournit la définition internationalement reconnue de la traite des personnes :
L’expression ‘traite de personnes’ désigne Ie recrutement, Ie transport, Ie transfert, l‘hébergement ou I’accueil de personnes, par la menace de recours ou Ie recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, au par I’offre ou I’acceptation de paiements ou d’avantage pour obtenir Ie consentement une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, I’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, Ie travail ou les services forcés, I’esclavage ou les pratiques analogues, I’esclavage, la servitude ou Ie prélèvement d’organes.
L’infraction de traite des personnes comprend trois trois éléments: l’acte, le moyen et la finalité de l’exploitation, comme l’illustre l’encadré 1. Ces éléments et le cadre juridique international pertinent sont étudiés plus en détails ci-dessous.
Il faut signaler que la traite des personnes a souvent des éléments en commun avec la commission d’une série d’autres infractions (comme par exemple enlèvement, agression, fraude et les infractions en matière d’immigration et de travail). La détermination d’une infraction spécifique de traite de personnes et la législation connexe permettent d’identifier la traite de personnes comme une conduite criminelle spécifique et grave, et d’éviter toute lacune qui pourrait entraîner l’impunité des auteurs de l’infraction. De plus, la législation contre la traite devrait viser à protéger les victimes, à les aider à avoir accès à leurs droits et à leur fournir le soutien nécessaire. Les États devraient également promouvoir une approche internationale ciblée et collaborative pour lutter contre ce crime. Ces questions sont explorées dans les Modules 7, 8, 9 et 10.
‘La traite des personnes’ et ‘la traite des êtres humains’ sont des termes interchangeables. Les Nations Unies ont adopté le terme ‘traite des personnes’ lors de l’adoption du Protocole contre la traite des personnes. Le Conseil de l’Europe utilise le terme ‘traite des êtres humains’ conformément à la Convention du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains de 2005. Le présent Module applique la terminologie adoptée dans le Protocole contre la traite des personnes.
La traite des personnes n’est pas un phénomène moderne, bien que le terme en soi soit contemporain. Tout au long de l’histoire, les personnes vulnérables ont été traitées comme des marchandises – considérées comme des objets et exploitées pour le bénéfice de tierces personnes. L’un des exemples historiques les plus évidents est l’esclavage. Lorsque les sociétés tolèrent l’exploitation du travail gratuit ou bon marché, cela donne lieu à l’émergence de la traite des personnes, d’une manière ou d’une autre (voir également Taran, 2006).
Les concepts apparentés de “esclavage moderne ” et de “esclavage des temps modernes ” n’ont pas de définition internationalement reconnue. Les États parties au Protocole sont libres d’utiliser ces termes dans leur législation nationale, dans la mesure où ils continuent à incriminer la traite des personnes en conformité avec leurs obligations conformément au Protocole. Le terme d’esclavage moderne est souvent utilisé dans le contexte des plaidoyers, comme une façon plus simple de faire référence à la traite (nonobstant le risque de créer des stéréotypes qui ignorent d’autres formes plus subtiles de contrôle qui ne sont pas comparables à “l’esclavage” dans le sens traditionnel du terme).
Le Rapport mondial sur la traite des personnes de l’UNODC de 2018 signale que la plupart des victimes détectées de la traite des personnes sont identifiées dans leur pays de citoyenneté, c'est-à-dire dans leur propre pays. Selon ce rapport, le pourcentage des victimes nationales identifiées a plus que doublé depuis 2010, passant de 27 pour cent à 58 pour cent en 2016. Cette conclusion peut indiquer une capacité croissante des autorités nationales pour identifier les victimes de la traite au niveau national et pour renforcer le contrôle des frontières, rendant la traite des personnes à l’étranger plus difficile. Un autre pourcentage significatif des victimes détectées avaient fait l’objet de la traite dans la même région ou sous-région (45%), alors qu’uniquement une de chaque dix victimes avait fait l’objet de la traite transrégionale. Cette dernière catégorie de victimes peut inclure les migrants irréguliers qui ont abandonné leur pays d’origine à la recherche d’une meilleure vie, qui ont voyagé sans les documents d’identité et de voyage appropriés, sans visas ou permis de séjour et éventuellement sans parler la langue du pays hôte, ce qui représente des facteurs pouvant augmenter le risque d’exploitation. De nombreuses personnes fuient la pauvreté, la guerre et les conflits armés, l’oppression politique, les désastres naturels, une éducation de qualité médiocre et le manque d’opportunités de travail. Le rapport signale notamment la grande vulnérabilité des réfugiés et des personnes qui vivent dans des zones affectées par les conflits où la nécessité de fuir la guerre et la persécution peut être exploitée par des trafiquants pour les attirer en vue de les exploiter. De plus, depuis qu’en 2003 l’UNODC a commencé à recueillir des données sur la traite des personnes, les femmes représentent la majorité des victimes détectées au niveau mondial (voir le Module 13 pour davantage de précisions sur les aspects liés au genre dans la traite).
Toutefois ces pourcentages représentent uniquement les cas détectés de traite. Des victimes de la traite des personnes continuent à ne pas être détectées, en particulier lorsqu’ il est question de traite transfrontalière.
De nombreux facteurs peuvent rendre les personnes vulnérables à la traite. Le genre, l’âge, l’éducation, le handicap, le manque de documentation légale et les barrières de la langue peuvent créer ou augmenter le risque d’exploitation par les trafiquants. La traite est fondamentalement l’exploitation de la vulnérabilité (voir aussi Pratt, 2012).
La controverse, et même le dilemme, entre l’utilisation du terme survivant ou victime a été largement discutée dans la documentation sur la violence à caractère sexiste. Le terme victime est associé à des connotations négatives. Il véhicule des idées de passivité, de faiblesse, d’impuissance et de vulnérabilité. Il peut avoir des implications dans la pratique en négligeant le pouvoir de la personne, et en conséquence le titre de victime peut être dépourvu de tout pouvoir. Dans le cadre de l’activisme et des études féministes, le terme survivant- notamment dans les cas de violence sexuelle et domestique- a été introduit pour contrebalancer et répondre aux implications négatives du terme victime et pour reconnaître le pouvoir des femmes. Néanmoins, même l’utilisation du terme survivant n’est pas reconnue universellement. Choisir le terme survivant plutôt que victime peut créer une nouvelle dichotomie: ceux qui ont réussi à surmonter leur situation de victimes et qui sont des survivants, et ceux qui ne l’ont pas fait. Comme le souligne une érudite importante dans le domaine de la violence à caractère sexiste et sexuel, Liz Kelly, ce type de dichotomie n’aborde pas d’un point de vue conceptuel la nature multidimensionnelle de la victimisation (Kelly, 1988). En fait, cela ignore les diverses stratégies de survie et d’adaptation dans des situations de coercition (Kelly, 1988) et ne capture pas le continuum entre le pouvoir et la victimisation.
Du point de vue de la justice pénale, se référer à la victime d’une infraction implique la possibilité pour une personne qui a subi un dommage matériel ou émotionnel d’ obtenir les réparations et la justice qui lui sont dues.
Selon le Rapport mondial sur la traite des personnes de l’UNODC de 2016, il y a au moins deux vastes catégories de trafiquants: tout d’abord ceux qui sont membres de réseaux criminels sophistiqués et les simples délinquants locaux de peu d’envergure qui opèrent indépendamment des groupes criminels organisés. Ces derniers sont souvent impliqués dans d’autres infractions graves, comme le trafic de drogue, d’armes et d’autres produits illicites, et soutiennent le terrorisme et les conflits, les pots de vins et la corruption des fonctionnaires publics.
Dans certains cas, les trafiquants sont d’anciennes victimes de la criminalité, et le fait d’avoir été victimes de l’exploitation leur a laissé peu d’options. Un exemple typique est celui des enfants soldats qui, à l’âge adulte, restent dans la milice armée et recrutent d’autres personnes par la force. Un second exemple est celui des jeunes femmes victimes de la traite à des fins de prostitution et qui postérieurement recrutent d’autres jeunes filles dans leurs communautés en contrepartie de paiements en espèces avec lesquels elles réduisent la dette qu’elles ont avec leurs trafiquants.
Une analyse qualitative des informations des cas judiciaires du monde entier révèle que la plupart des cas de traite impliquent des personnes recrutées dans leurs communautés, à l’étranger ou à l’intérieur de leur pays, avec la promesse d’une vie meilleure (voir aussi la base de données jurisprudentielle SHERLOC sur la traite des personnes).
Lorsque la traite de personnes est transnationale, la majorité des victimes font l‘objet de la traite lorsqu’elles tentent d’émigrer des régions moins riches ou moins développées vers des régions plus riches, ou des zones rurales vers les zones urbaines. Etant donné que les victimes sont exploitées par les trafiquants lorsqu‘elles tentent de se réinstaller dans des régions qu’elles croient susceptibles de leur offrir de meilleures opportunités, les méthodes de la traite tendent à refléter les méthodes de migration, des nations les plus pauvres vers des nations plus riches, comme le montre l’illustration 1.
Le terme “migration mixte” fait référence aux mouvements complexes de personnes qui se déplacent pour des divers motifs et qui ont diverses nécessités, et cela inclut les réfugiés, les migrants faisant l’objet d’un trafic illicite et les victimes de la traite (voir le Module 5). Il est commun que ces personnes utilisent les mêmes routes et les mêmes moyens de transport lors de leurs voyages. Dans des déplacements à grande échelle, les réfugiés et les migrants entreprennent des voyages dangereux, durant lesquels ils peuvent subir de multiples violations aux droits de l’Homme aux mains des auteurs de trafic illicite, de trafiquants ou d’autres criminels. De plus, durant ces voyages, ils peuvent passer d’une catégorie juridique à l’autre, et par conséquent des cadres différents en matière de protection peuvent être applicables, en fonction de leur situation changeante. Ils peuvent par exemple être considérés ou devenir des réfugiés dans un pays, devenir apatrides en raison de la privation arbitraire de leur citoyenneté, ou devenir des victimes de la traite (ONUDC, 2016). Dans ce contexte, il est important de considérer certaines différences et certains points communs comme le montre l’illustration Figure 2 et qui sont examinés dans la suite de ce Module (voir aussi le Module 5).
Diverses stratégies, allant d’une simple fausse promesse d’emploi à l’enlèvement, sont employées par les trafiquants pour recruter et exploiter des victimes. Ils gagnent souvent la confiance des victimes en utilisant la tromperie et la manipulation. Parfois des agences de placement peu scrupuleuses trompent les travailleurs avec la conclusion de conditions de travail abusives; et ce qui semblait être un emploi légitime était en réalité de l’exploitation (voir aussi ONUDC, 2015). Les femmes et les enfants sont particulièrement vulnérables à la traite et peuvent être soumises à la traite de personnes par leurs propres communautés ou leurs familles et dans des lieux publics d’affaires et de commerces. Des familles désespérées peuvent même avoir recours aux trafiquants pour leur vendre leurs enfants en échange d’un paiement immédiat (Le projet de protection 2013).
Les méthodes, les tendances et les stratégies de la traite évoluent au fil du temps et s’adaptent aux nouvelles exigences, aux challenges, aux réalités politiques et sociales et aux ripostes des services de détection et de répression. L’illustration 3 expose certaines méthodes de la traite qui ont été soulignées dans le Rapport mondial sur la traite des personnes de l’ONUDC de 2018. Les formes d’exploitation détectées varient d’une région à l’autre (voir les illustrations 3 - 20). La traite à des fins d’exploitation sexuelle reste la forme de traite la plus détectée au niveau mondial. Ceci peut s’expliquer par le fait que les autorités d’application de la loi tendent à enquêter de manière prioritaire sur cette forme d’exploitation dans certaines régions. Le rapport mondial de 2018 montre également que la majorité des trafiquants condamnés sont des hommes (voir les illustrations 3 - 27). Il est intéressant de noter que la majorité des trafiquants condamnés dans les pays de destination sont des délinquants étrangers, alors que dans les pays d’origine ce sont surtout des ressortissants du pays (voir les illustrations 3 - 36). Comme l’indiquait le Rapport mondial sur la traite des personnes de l’ONUDC de 2016: “un examen plus approfondi de la nationalité des étrangers condamnés pour l’infraction de traite de personnes dans les pays de destination révèle un modèle général. La nationalité de ces délinquants reflète globalement la nationalité des victimes détectées. En d’autres termes, le profil de nationalité des trafiquants est étroitement lié au profil des victimes de la traite. Partager des antécédents culturels et/ou linguistiques pourrait amener les victimes à faire plus rapidement confiance aux citoyens de leur propre pays quand ils discutent des ‘opportunités’ à l’étranger. Ceci pourrait être particulièrement marqué dans le cas des femmes qui recrutent d’autres femmes”.
Le rapport mondial sur la traite des personnes de 2018 souligne également la vulnérabilité particulière des personnes qui habitent ou qui fuient les zones de conflit. Durant les 30 dernières années, de plus en plus de pays ont connu des conflits violents, et ces dernières années cela a amené la communauté internationale à prêter une plus grande attention à la traite des personnes dans le contexte des conflits. L’illustration 4 montre les formes de traite signalées directement ou indirectement liées aux conflits armés.
La communauté internationale reconnaît que la lutte contre la traite des personnes requiert une approche holistique et multidisciplinaire, impliquant de nombreux intervenants, stratégies et expertises complémentaires. Le champ d’action croissant au niveau international de la traite implique également la nécessité d’une approche coopérative transfrontalière pour l’enquête et la poursuite des trafiquants (voir Bales, 2004). De plus, de nouvelles stratégies doivent être développées et mises en œuvre pour réduire la vulnérabilité des victimes potentielles et éviter que les trafiquants aient l’opportunité de les exploiter. Il faudrait également accroître les risques et les coûts de cette conduite pour les trafiquants.
Les divers éléments d’une approche holistique (présentés schématiquement dans l’illustration 5) seront abordés en détails dans les Modules suivants de cette série de modules.